Les deux principales méthodologies de calcul de l’empreinte carbone, le Bilan Carbone® et le GHG Protocol, catégorisent les émissions de gaz à effet de serre en 3 périmètres : ce sont les scopes 1, 2 et 3.
Le scope 1, ce sont les émissions directes de l’entreprise (par exemple le carburant utilisé pour les véhicules de l’entreprise), le scope 2 les émissions indirectes liées à l’énergie (par exemple les émissions liées à la consommation d’électricité) et le scope 3 toutes les autres émissions indirectes.
Dans ce scope 3, on trouve ainsi par exemple les achats de matières premières, les achats de services ou encore les déplacements domicile-travail. Ce scope représente en général la très grande majorité des émissions d’une entreprise, parfois jusqu’à 95% des émissions totales.
Voilà pourquoi la prise en compte du scope 3 est essentielle dans le calcul de l’empreinte carbone totale de l’entreprise et la décarbonation de ce scope un enjeu majeur dans la transition bas-carbone des entreprises.
Mais c’est aussi la plus complexe. Les données des émissions des scopes 1 et 2 sont en effet souvent “simples” à suivre. Ce n’est pas le cas pour le scope 3 pour lequel il faut aller chercher des données sur toute la chaîne de valeur de l’entreprise, pour des activités bien en amont ou en aval de la production, notamment des données précises chez les fournisseurs de l’entreprise.
Comment obtenir toutes les données nécessaires au calcul du Scope 3 ? On parle d’approche spécifique, semi-spécifique et générique, qu’est-ce que cela veut dire ? Quelle approche choisir en fonction des données disponibles ? Quelles sont les spécificités selon les secteurs ?
1. Approche spécifique, semi-spécifique ou générique ?
Avant d’entrer dans le cœur du sujet, un rappel sur le calcul des émissions de gaz à effet de serre.
La première étape, c’est de cartographier les flux d’énergie, de matières premières, de déchets et de produits générés par l’entreprise.
C’est comme cela qu’on va être en mesure de déterminer ce qu’on va prendre en compte dans le calcul du bilan carbone et donc quelles sont les données à aller chercher.
Et c’est la 2ème étape : collecter les données afin de pouvoir les transformer ensuite en émissions de CO2e grâce aux facteurs d’émissions.
Ces données doivent refléter toutes les émissions directes et indirectes de l’entreprise. C’est là qu’interviennent les scopes 1, 2 et 3.
Chaque Scope est divisé en sous-catégories qu’on appelle aussi “postes d’émissions”. La méthodologie Bilan Carbone® en compte 23.
La phase de collecte des données est cruciale puisque plus les données seront précises et complètes et plus la précision du bilan carbone sera importante.
C’est là que réside l’enjeu majeur dans le calcul du scope 3 : être en capacité de collecter et d’utiliser les meilleures données possibles. Cela dépend du niveau d’information dont dispose l’entreprise, de sa capacité à recueillir la data mais aussi de l’importance du poste d’émissions concerné dans les activités de l’entreprise.
1.1 L’approche spécifique
C’est l’idéal. Ce que l’on appelle l’approche spécifique consiste à récupérer des données spécifiques aux fournisseurs de l'entreprise, donc des données carbones spécifiques.
Votre fournisseur ou votre prestataire de transport par exemple est ainsi en capacité de vous fournir une donnée carbone spécifique au produit ou service que vous achetez. La donnée se matérialise ainsi : kgCO2e/produit.
Autre possibilité, c’est la transmission d’une donnée carbone qui n’est pas spécifique au produit mais au fournisseur. Si ce dernier a réalisé son bilan carbone et qu’il le rapporte à son chiffre d’affaires, alors il peut fournir les émissions par euro et vous saurez qu’un achat moyen à ce fournisseur va émettre tant de CO2e : kgCO2e/€ fournisseur.
Pourquoi l’approche spécifique est idéale ? Parce que c’est la plus précise. Vous savez exactement quelles sont les émissions associées à vos achats de biens et de services. L’incertitude est faible et donc cela renforce nettement la précision de votre propre bilan carbone.
“Pour les entreprises du secteur industriel, on privilégie systématiquement l’approche spécifique, notamment sur les intrants pour éviter de gonfler artificiellement les émissions. Mais c’est ce qu’il y a de plus difficile.”
Manon Dias, consultante climat et environnement Sami
Le plus difficile car cette approche nécessite de pouvoir accéder aux données carbone spécifiques des fournisseurs.
Certes, de plus en plus d’entreprises calculent leurs émissions de gaz à effet de serre ou réalisent des analyses de cycle de vie sur leurs produits, soit dans des démarches volontaires, soit pour répondre à des obligations. Elles sont alors en mesure de fournir des données précises.
“C’est le cas notamment pour le fret. Les transporteurs sont obligés de calculer les émissions liées au transport demandé. Et donc aujourd’hui tous nos clients arrivent à obtenir les données carbone de leurs prestataires pour le fret.”
Manon Dias
Les grands comptes aussi sont souvent en mesure de fournir des données précises car ils sont soumis à des réglementations de plus en plus strictes sur les émissions. C’est le cas du BEGES en France pour les entreprises de plus de 500 salariés. La CSRD, en vigueur depuis le 1er janvier 2024, va elle progressivement imposer aux entreprises européennes de plus de 250 salariés, 25 millions d’euros de bilan ou 50 millions d’euros de chiffre d’affaires (2 des 3 seuils dépassés) de mesurer leurs émissions de gaz à effet de serre.
Mais de très nombreuses entreprises n’ont pas encore de données carbone spécifiques.
Il est alors nécessaire de réaliser des estimations afin de se rapprocher le plus possible des émissions réelles.
1.2 L’approche semi-spécifique
Si l’approche avec des données spécifiques aux fournisseurs n’est pas possible, il faut “descendre d’un cran” et opter pour une approche semi-spécifique.
L’enjeu ici, même si les données carbone ne sont pas disponibles, c’est d’aller chercher le plus d’informations possibles chez vos fournisseurs afin d’estimer les émissions associées.
Pour cela, il faut remonter votre chaîne de valeur et tenter d’obtenir des informations chez vos fournisseurs successifs, en commençant par ceux qui sont les plus proches de vous, les fournisseurs de rang 1.
La question de la traçabilité est essentielle puisque plus vous obtiendrez de données précises, plus nos estimations seront proches de la réalité.
Il s’agit de connaître le plus précisément possible :
- les émissions de scope 1 et 2 du fournisseur, notamment sa consommation d’énergie
- la quantité de matériaux achetée pour produire les biens
- les données de transport pour acheminer le produit jusqu’à votre fournisseur
- le pays d’origine des produits que vous achetez : tant de tonnes d’acier achetées chez un fournisseur en Turquie, en Inde ou en Allemagne
Et en recommençant cette même opération en remontant la chaîne de valeur.
Nous disposons ensuite de bases de données de facteurs d’émissions très précises qui vont nous permettre grâce aux informations collectées d’associer des émissions. L’empreinte carbone d’une tonne d’acier achetée en Inde n’est pas la même qu’une tonne d’acier en Allemagne.
Prenons l’exemple d’une entreprise textile qui commercialise un t-shirt.
Plutôt que de se contenter d’un facteur d’émissions moyen pour le t-shirt, il s’agit de décortiquer les différentes étapes : quelle est la composition du vêtement ? D’où viennent les matières premières ? Dans quel pays a été réalisée la filature ? Dans quel(s) pays ont été réalisées les étapes de fabrication (tissage/tricotage, ennoblissement…) ? Chez quels fournisseurs ? Quelle est leur consommation d’énergie ? Quel mode de transport a été utilisé entre les différentes étapes et jusqu’à la livraison ?
“On utilise alors des référentiels avec des facteurs d’émissions moyens qui correspondent à ces données. A défaut de données spécifiques aux fournisseurs, c’est ce qu’on peut faire de mieux.”
Manon Dias, consultante climat et environnement Sami
On pourra alors associer des facteurs d’émissions bien plus précis et gagner en qualité sur l’estimation des émissions sur les intrants.
Néanmoins, l’une des limites de cette approche, c’est qu’elle repose sur la qualité des données collectées. Toutes ne sont pas forcément exploitables ou certaines introduisent beaucoup d’incertitude dans le calcul des émissions.
“J’ai le cas d’un client qui, sur une partie de ces intrants, a des données physiques qui sont en m3 et sur lesquelles nous ne pouvons pas associer de facteurs d’émissions. Donc à partir de ces données, en fonction de la densité des matériaux, nous avons essayé de faire des conversions en kg. Mais cela introduit un niveau de complexité et surtout d’incertitude dans le calcul qui sont très importants. Et donc la question se pose de passer dans une approche 100% monétaire. L’incertitude liée aux données est un facteur important à prendre en compte.”
Manon Dias
Une autre limite importante concerne le calcul des émissions du scope 3 aval, en tout cas de certains postes d’émissions.
C’est le cas notamment pour l’utilisation des produits vendus ou la fin de vie des produits vendus. Il est encore difficile d’obtenir des données d’activités précises et claires sur ces postes.
“Sur l’utilisation des produits, je prends l’exemple du secteur de la cosmétique. Pour estimer les émissions liées à l’utilisation d’un produit, il faut être capable de déterminer entre autres combien de fois le produit va être appliqué, est-ce qu’il faut le rincer, etc. Pour un textile, combien de fois est-ce qu’il va être porté, est-ce qu’il est repassé, etc. On a aussi parfois des clients qui passent par des revendeurs pour vendre leurs produits. Si les revendeurs sont situés en Europe, on peut estimer que les produits vont être utilisés majoritairement en Europe. Mais cela reste une estimation à la grosse maille.”
C’est le cas bien souvent aussi pour la fin de vie des produits où il est encore très difficile d’avoir une vision claire de ce qu’ils deviennent. Et dans ces cas, ce sont des données moyennes qui sont utilisées.
1.3 L’approche générique
Dans ce cas, contrairement aux deux approches précédentes, on ne spécifie rien. C’est une donnée moyenne d’impact qui est prise en compte.
Reprenons l’exemple d’une entreprise qui commercialise des t-shirts : au lieu de décomposer le vêtement et d’aller chercher des données les plus précises possibles à chaque étape de la chaîne de valeur, dans l’approche générique c’est une donnée moyenne d’émissions pour un t-shirt prêt à être commercialisé qui va être utilisé.
Pour le poste fin de vie, ce sont souvent des données moyennes qui sont utilisées, faute de données plus précises exploitables.
Et parce que, faute de mieux, ce sont des données moyennes d’impact qui sont utilisées, cette approche générique est de loin la plus incertaine.
Les données génériques peuvent être de deux natures :
- données physiques : kgCO2e/kg de produit fini
- données monétaires : kgCO2e/€ de type de dépense
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2. Approche monétaire ou physique ?
Il existe donc deux catégories de données pouvant être utilisées pour calculer les émissions de gaz à effet de serre associées :
- les données financières, telles que les factures ou les montants en devises, sont converties en émissions de CO2e. On parle d’approche monétaire.
- les données physiques comme les distances parcourues (km) ou les quantités consommées (kWh, kg, tonnes, etc.) sont converties en émissions de CO2e. On parle d’approche physique.
L'approche monétaire permet de calculer rapidement et facilement les émissions liées aux dépenses de services, telles que les achats de prestations intellectuelles, les dépenses marketing, les services bancaires et les honoraires. Ces dépenses peuvent être intégrées aisément, notamment en utilisant le Fichier d'Écritures Comptables (FEC) pour collecter et ajouter automatiquement ces dépenses.
Cependant, l'approche monétaire n'est pas adaptée à toutes les émissions. Par exemple, pour les émissions liées au cycle de vie d'un produit (matières premières, fabrication, emballage, transport, utilisation, etc.), les consommations d'énergie de l'entreprise, les déplacements domicile-travail et les déplacements professionnels, il est préférable d'utiliser l'approche physique.
Par exemple, dans le cas des déplacements domicile-travail, l'utilisation d'un ratio monétaire basé sur les dépenses de carburant entraînerait des variations importantes des émissions associées en raison de la fluctuation des prix du carburant, même si les émissions réelles resteraient inchangées.
Ainsi, si ces deux approches sont complémentaires, l'approche physique est bien souvent essentielle pour obtenir des résultats précis et refléter la réalité des activités de l'entreprise.
3. Une approche par secteur
Pour certains secteurs d’activités, des spécificités méthodologiques sont à prendre en compte pour le calcul des différents postes d’émissions du scope 3.
Impossible de tous les lister ici. Deux exemples :
- Cosmétique
Dans le secteur cosmétique, il n’existe pas de référentiel d’affichage environnemental. Il est donc impossible de se référer à des données secondaires c’est-à-dire à des données moyennes d’impact.
Pour l’étape de fabrication, comme pour la logistique amont et aval, il est donc nécessaire de spécifier les données d’activités propres aux fournisseurs.
- Textile
Pour ce secteur, la composition des produits doit être entièrement spécifiée : les données précises des matières premières utilisées et leurs quantités sont attendues car elles varient énormément selon les produits.
En outre, la base Impacts permet de modéliser les émissions associées à plusieurs dizaines de matières différentes (naturelles, artificielles ou encore recyclées). Ce qui permet d’obtenir des estimations précises des émissions associées.
Le Plan Carbone Général détaille les autres approches spécifiques selon les secteurs d’activités, étape par étape. Nous vous invitons à vous référer à ce document.
Par ailleurs, des considérations plus générales existent en matière d’approche sectorielle.
Ainsi, pour les entreprises du secteur des services, les dépenses de services justement représentent souvent une part importante des émissions totales. Pour ces dépenses, l’approche monétaire est aujourd’hui souvent privilégiée même si de plus en plus de données physiques existent afin de mesurer plus précisément les émissions.
“En revanche, toujours dans le secteur des services, les postes déplacements professionnels et domicile-travail sont aussi souvent importants. Et là on ne passe jamais par du monétaire, ça n’aurait aucun sens. On part sur des données spécifiques ou semi spécifiques. Les déplacements des visiteurs sont aussi à considérer. Il est plus difficile d’avoir des données précises mais on part généralement d’hypothèses qu’on construit avec le client.”
Manon Dias, consultante climat et environnement Sami
Dans les secteurs manufacturiers, pour les intrants, le fret ou la fin de vie des produits, ce sont presque toujours des données physiques qui sont utilisées, sauf cas exceptionnels de données manquantes, partielles ou sur lesquelles les facteurs d’émissions ne font pas sens.
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4. Comment améliorer la collecte des données du scope 3 ?
D’abord, il faut retenir que pour les entreprises qui ont plusieurs dizaines ou plusieurs centaines de fournisseurs, il n’est souvent pas possible de tous les contacter.
Il faut donc commencer par identifier les fournisseurs les plus stratégiques, ceux à qui l’entreprise achète le plus d’intrants, ceux qui, à priori, représentent les émissions les plus importantes. Et c’est sur ces fournisseurs qu’il faut dans un premier temps concentrer le travail de collecte des données les plus précises. Avant de “descendre” au fur et à mesure vers les autres.
“Il faut avoir en tête que pour certaines entreprises, il faut parfois 2, 3 ou 4 bilans carbone avant d’aboutir à une collecte avec des données robustes et précises sur toute la chaîne de valeur. Il faut se concentrer sur les postes les plus importants au début pour réduire l’incertitude au maximum puis affiner au fur et à mesure. C’est un travail qui prend du temps.”
Manon Dias
Chez Sami, pour faciliter ce travail de collecte tout en allant chercher des données plus précises, nous avons développé des questionnaires dédiés aux fournisseurs.
L’entreprise est alors en mesure de les envoyer directement à tous ses fournisseurs afin de récupérer soit, dans le meilleur des cas, des données carbones spécifiques, soit des résultats d’ACV, soit des données semi-spécifiques (consommation d’énergie par exemple) qui vont nous permettre d’estimer au mieux les émissions liées aux intrants.
“Je recommande souvent 2 actions à nos clients. D’abord que la personne qui est en charge du bilan carbone dans l’entreprise ait une bonne connaissance des différents services et process de l’entreprise. Cela permet de faciliter les échanges et d’accélerer la collecte. Ensuite, je conseille aux entreprises de mettre en place un suivi des données plus adapté, en sortant notamment de la logique où seul le coût des achats est enregistré afin de connaître par exemple le poids des intrants. Et là, c’est souvent aussi le degré d’engagement de l’entreprise qui joue beaucoup.”
Manon Dias
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