Le terme de “comptabilité carbone” (carbon accounting) désigne de façon très large les méthodes utilisées afin d’intégrer la question du changement climatique dans la stratégie et les politiques RSE des entreprises (in Morgane Le Breton, Franck Aggeri. La construction de la comptabilité carbone : histoire, usages et perspectives). Mais la comptabilité carbone est très souvent employée afin de décrire plus précisément l’ensemble des méthodes utilisées pour dénombrer, quantifier et classer les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’une entreprise, d’une collectivité, d’une association sur un périmètre donné.
La comptabilité carbone permet donc pour une entreprise d’évaluer les émissions de gaz à effet de serre engendrées par son activité et celle de sa chaîne de valeur et donc d’évaluer sa dépendance au carbone.
Il est possible toutefois de distinguer deux types de comptabilité carbone : la comptabilité carbone générale et la comptabilité carbone analytique.
La première, la générale, offre une vision générale des émissions de GES et répond aux exigences réglementaires auxquelles sont soumises les entreprises. La seconde, l’analytique, permet d’entrer dans le détail des émissions, poste par poste, entité par entité, filiale par filiales, afin de construire derrière un plan d’action ciblé et efficace.
Explications.
1. Comptabilité carbone et comptabilité financière
On parle de comptabilité carbone car elle se rapproche beaucoup de la comptabilité financière, avec des normes, une méthodologie, des données à collecter puis à communiquer. A l’image de la comptabilité financière avec le Plan comptable général, Sami est à l’origine du Plan carbone général, désormais piloté par l’association pour la transition bas-carbone (ABC), un guide opératoire de mise en application des cadres de la comptabilité carbone qui fait aujourd’hui référence.
Et comme dans la comptabilité financière, on peut distinguer la comptabilité carbone générale de la comptabilité carbone analytique.
2. Qu’est ce que la comptabilité carbone générale ?
La comptabilité carbone générale donne une vue générale de la dépendance au carbone de l’entité analysée (entreprise ou collectivité par exemple).
Elle cherche ainsi à mesurer les émissions de GES d’une entité afin ensuite de pouvoir les réduire et de répondre au problème majeur du réchauffement climatique. C’est ce que l’on appelle communément un bilan carbone.
A cet effet, plusieurs outils ou méthodologies de comptabilité carbone ont été élaborés au niveau national ou international. Voici les plus répandus : le Bilan Carbone® (développé par le gouvernement français et l’Ademe, lancé en 2004), le BEGES réglementaire et au niveau international le GHG Protocol et la norme ISO 14069.
Le bilan carbone permet d’enregistrer chaque flux entrant et sortant de carbone puis de les classer par scopes (scopes 1, 2 et 3), par catégories et par postes d’émissions selon la nomenclature. Par exemple, il y a 6 catégories et 22 postes d’émissions dans la méthodologie réglementaire française actuelle et 23 postes d’émissions dans la méthodologie Bilan Carbone®.
La comptabilité carbone générale, via le bilan carbone, remplit ainsi plusieurs objectifs, avec deux visées distinctes.
- Visée externe
Le bilan carbone est d’abord un outil de reporting réglementaire. Il permet de communiquer les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les activités de l’entreprise et par sa chaîne de valeur et peut ainsi répondre aux réglementations françaises et européennes de plus en plus ambitieuses.
En France, un bilan d’émissions de gaz à effet de serre (Bilan GES) est obligatoire tous les 4 ans pour les entreprises de plus de 500 salariés et tous les 3 ans pour les collectivités de plus de 50 000 habitants et les personnes morales de droit public employant plus de 250 personnes (hôpitaux, établissements publics…).
Un bilan carbone qui va bientôt s’étendre à de nouvelles entreprises. La nouvelle directive européenne de reporting extra-financier, la CSRD, prévoit ainsi un reporting sur les émissions de gaz à effet de serre pour les entreprises de plus de 250 salariés.
Par ailleurs, au-delà des enjeux réglementaires, la comptabilité carbone générale permet aussi un reporting auprès des parties prenantes. De plus en plus d’entreprises demandent ainsi à leurs fournisseurs de fournir leur bilan carbone ou intègrent dans leurs appels d’offres le critère de l’empreinte carbone, nécessitant donc la réalisation d’un bilan carbone. C’est le cas de la SNCF qui intègre depuis début 2023 un prix de la tonne carbone dans tous ses appels d’offres. De plus en plus de fonds d’investissements exigent également des entreprises de leur portefeuille le calcul de leur empreinte carbone.
- Visée interne
Le bilan carbone comme outil de reporting n’est pas qu’utile en externe, il l’est aussi en interne.
Pourquoi ? Parce qu’il permet, on l’a dit, d’avoir une vision globale des émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise et de sa chaîne de valeur. En réalité, le bilan carbone montre à l’entreprise son degré de dépendance au carbone. Et dans un monde où la contrainte carbone est et va devenir de plus en plus forte, cette information est essentielle.
Grâce à la comptabilité carbone générale, l’entreprise dispose d’outils pour analyser les risques financiers liés à la transition bas-carbone auxquels elle est exposée.
“L’exposition à ce risque, c’est à quel point l’entreprise est carbonée. Plus l’entreprise est dépendante, plus elle va être exposée à de la réglementation, par exemple à des taxes carbone. Et pour calculer cette dépendance, le bilan carbone est un outil précieux. C’est une manière de mesurer ces risques et de les limiter.”
Guillaume Colin, Head of Expertise chez Sami.
Et puis, la comptabilité carbone générale est le point de départ de toute stratégie climat d’une entreprise. Le bilan carbone permet en effet d’identifier les principaux postes d’émissions de l’entreprise. Est-ce qu’il s’agit des déplacements ? Des locaux ? Ou encore des achats de matières premières ? Sans bilan carbone complet (scopes 1,2 et 3), il est très difficile de répondre précisément à ces questions. Néanmoins, la comptabilité carbone générale ne permet qu’une analyse limitée. C’est là qu’intervient la comptabilité carbone analytique.
3. La comptabilité carbone analytique
Là où la comptabilité carbone générale offre une vision générale de la dépendance au carbone, la comptabilité analytique permet une vision détaillée de chaque poste d’émissions, par produits, par fournisseurs, par site ou encore par filiale.
Précisons tout de suite que la comptabilité carbone analytique est une sous-partie de la comptabilité carbone générale. Autrement dit, il n’y a d’approche analytique que s’il y a eu auparavant une approche générale. On part du bilan carbone global pour ensuite entrer dans le détail.
Cette approche analytique, contrairement à l’approche générale, n’a pas pour objectif un reporting externe. L’objectif ici, c’est de pouvoir, en interne, détailler finement les sources d’émissions : postes par postes, sites par sites, filiales par filiales, etc.
Et on peut décliner ainsi cette analyse : au sein d’une seule filiale, quels sont les produits ou les fournisseurs pour lesquels les émissions de CO2 sont les plus importantes ? Et au sein de cette même filiale, pour un seul produit, parmi les matières premières, laquelle est la plus émettrice ? Ou encore, sur un seul des sites de l’entreprise, quel poste d’émissions est le plus important ? S’il s’agit des déplacements par exemple, quel est le type de déplacements le plus émetteur ?
L’enjeu, c’est d’avoir une meilleure compréhension de la source de ses émissions et ainsi de pouvoir construire derrière un plan d’action efficace en ciblant les actions sur lesquelles le potentiel de réduction est le plus important. La comptabilité carbone générale peut permettre à l’entreprise de se rendre compte par exemple que les émissions liées à ses sites de production sont importantes. Mais elle ne pourra pas aller plus loin. Alors qu’avec la comptabilité analytique, elle sera en mesure de déterminer quels sont les sites qui posent problème et pourquoi. Sur un site, il peut s’agir des déplacements des collaborateurs, sur un autre des émissions liées à l’énergie.
Le niveau de détail peut être très poussé. Mais pour cela, il faut catégoriser les activités de l’entreprise et donc les données collectées lors de la réalisation du bilan carbone. Comment définir cette catégorisation ? Deux éléments sont importants :
- la structure de l’entreprise : est-ce qu’elle dispose de plusieurs sites ? De plusieurs filiales ? Plusieurs pays où elle est présente ? L’objectif, c’est d’organiser sa comptabilité carbone selon cette structure.
- la gouvernance de l’entreprise : est-ce qu’il y a un responsable pour chaque site ? Pour chaque filiale ? Qui pilote le sujet de la stratégie climat ? Ces éléments permettent également de structurer en amont la catégorisation des émissions.
Enfin, contrairement à la comptabilité carbone générale qui répond à des enjeux réglementaires et qui est donc très normée, avec des nomenclatures qui doivent être respectées selon les dispositions réglementaires (prise en compte du scope 3, postes d’émissions, etc), la comptabilité analytique et sa nomenclature sont propres à chaque entreprise. Cela dépend, on l’a vu, de sa structure, de sa gouvernance mais aussi de son secteur d’activité. Quelques exemples :
- dans le secteur tertiaire : les bilans carbone de ces entreprises révèlent souvent une prépondérance des émissions issues des achats de services, des déplacements des collaborateurs, de la construction et de l’exploitation des locaux. La catégorisation doit donc être priorisée sur ces émissions.
- dans le secteur textile : là encore, on le sait, la majorité des émissions d’une entreprise de ce secteur provient des matières premières et de la fabrication des produits. La catégorisation devra donc être fine sur l’origine des matières premières, sur les fournisseurs, les procédés de fabrication afin de permettre des analyses entre produits, entre fournisseurs, entre matières premières, etc…
- dans le secteur industriel : les émissions du scope 1 et 2 (émissions directes et indirectes liées à l’énergie) sont plus importantes que dans les autres secteurs. Les achats de matières premières représentent aussi des émissions élevées. Il sera utile de pousser l’analyse sur les consommations d’énergie, par usines ou par produits selon les fournisseurs ou les matières premières.
4. Exemple
Prenons l’exemple (anonymisé) d’une entreprise pour laquelle nous avons réalisé son bilan carbone 2022.
- Comptabilité carbone générale
Voici le résumé de ses émissions.
Et le résumé des émissions, poste par poste.
Cette approche permet aux entreprises de répondre parfaitement aux enjeux réglementaires via ce reporting complet et précis des émissions.
- Comptabilité carbone analytique
Entrons maintenant dans l’analyse plus poussée des émissions. Là où le premier graphique donnait une vision globale des émissions, il est possible d’abord d’avoir une vision par collaborateur et selon les sites de l’entreprise.
Ce graphique nous permet d’analyser l’intensité carbone par collaborateur et par site et nous donne des premières informations intéressantes. L’intensité carbone est ainsi près de 3 fois plus élevée sur les sites du Havre et de Pierrelatte qu’à St-Cloud, plus de 2,5 fois plus élevé à Lyon qu’à St-Cloud. Pour réduire rapidement et efficacement les émissions, le plan d’actions se concentrera donc en priorité sur ces sites. Par ailleurs, autre élément intéressant : bien que les déplacements représentent le poste d’émissions le plus important sur tous les sites à part de celui de St-Cloud, les locaux apparaissent également comme une source importante sur les sites de Pierrelatte et de Dunkerque. Ce qui permet là encore à l’entreprise de cibler les mesures visant à réduire les émissions issues des locaux en priorité sur ces deux sites.
Et il est possible d’entrer encore plus dans les détails. Sur les déplacements par exemple, le 1er graphique de la répartition globale des émissions nous apprend qu’il s’agit du premier poste d’émissions à l’échelle de l’entreprise avec 36% des émissions totales. C’est une première information mais l’approche analytique va nous permettre d’aller plus loin.
Ainsi, on peut d’abord déterminer l’intensité collaborateur sur ce poste d’émissions et par site de l’entreprise.
L’intensité carbone/collaborateur pour les déplacements est ainsi très élevée sur les sites du Havre et de Lyon. Et dans une moindre mesure sur ceux de Cherbourg, de Pierrelatte et de Dunkerque. Ce qui justifiera des actions ciblées sur la mobilité des collaborateurs sur ces sites spécifiques. Et on peut encore zoomer sur ce poste des déplacements.
Autre exemple de zoom sur un poste d’émissions en particulier : les locaux. Dans le 1er graphique, les émissions liées aux locaux étaient importantes à Pierrelatte et à Dunkerque. En entrant dans le détail, on se rend compte que c’est lié à la construction récente d’un bâtiment à Dunkerque mais que c’est l’exploitation du site qui pose problème à Pierrelatte.
Cette granularité sur les émissions par site et par collaborateur peut se retrouver dans d’autres entreprises par filiale, par entité, par produit, par fournisseur, etc…
5. Sami, précurseur de la comptabilité analytique
Depuis le lancement de notre plateforme en 2020, nous misons sur une vision du bilan carbone comme outil essentiel à la stratégie climat de l’entreprise. Et c’est pour cela que nous avons développé un logiciel permettant cette approche analytique.
Car pour disposer de cette comptabilité analytique, il faut d’abord pouvoir associer les bonnes données aux bonnes catégories d’émissions et au bon niveau de détail souhaité. Il faut donc dès la collecte des données pouvoir assigner les émissions au bon poste puis à tel ou tel fournisseur, telle ou telle filiale ou telle ou telle usine. En bref, le logiciel permet de créer pour l’entreprise sa propre nomenclature grâce à :
- plus de 300 catégories d’émissions possibles afin de personnaliser et mieux catégoriser les émissions. Il y a des grandes catégories comme les déplacements, les intrants, le numérique, la restauration ou encore le fret. Mais dans chacune de ces catégories, il est possible de rentrer dans le détail. Par exemple pour le fret, on peut choisir fret amont, interne ou aval. Puis s’il s’agit d’un fret routier, maritime, aérien ou encore ferroviaire. Et s’il s’agit d’un fret routier, avec quel type de véhicule.
- la création possible de ce que nous appelons des “dimensions” et des “tags” afin d’associer précisément, au sein même d’une catégorie, des émissions à la structure de répartition qui a été choisie par l’entreprise.
Les dimensions, ce sont des grandes familles de répartition : filiales, pays de provenance, fournisseurs, localisation, matières premières, etc… Et au sein de ces grandes familles, on crée des tags. Par exemple pour la localisation, les tags ce seront St-Cloud, Dunkerque, Lyon et tous les autres sites de l’entreprise si on reprend l’exemple développé dans le chapitre 3. C’est ce qui va nous permettre d’obtenir les émissions globales par site et la répartition de ces émissions sur chacun des sites.
- Enfin, la création d’indicateurs d’analyse personnalisés : intensité carbone économique (par rapport à votre chiffre d’affaires), intensité collaborateur, intensité par produit vendu, intensité par poids, intensité par filiale, etc…
Ce sont tous ces outils qui vont construire votre propre comptabilité carbone analytique puis qui vont vous permettre d’analyser au mieux les résultats. Avant de construire votre plan d’action afin de réduire ces émissions.
L’approche analytique permet donc d’orienter et de cibler votre plan d’action. Mais dans sa forme même, elle est un outil de suivi et de reporting de la stratégie climat. Puisque le travail de répartition et d’assignation des émissions va permettre ensuite de définir des objectifs par entité, par filiale, par pays, par produit ou encore par site et de suivre, au cas par cas, l’évolution des trajectoires. C’est ce que permet aussi notre plateforme.
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Conclusion
Il ne s’agit pas ici d’opposer comptabilité carbone générale et comptabilité carbone analytique. Ce n’est pas l’une ou l’autre, c’est les deux. Car elles sont complémentaires. La générale permet de se mettre en conformité, d’avoir une vision globale de ses émissions, de se comparer aussi avec d’autres entreprises du même secteur. Mais parce que le bilan carbone n’est pas une finalité et qu’il doit être un outil au service de la stratégie de baisse des émissions de l’entreprise, la comptabilité analytique devient nécessaire. Car c’est elle qui va permettre à l’entreprise de comprendre la structure de ses émissions et ainsi permettre de construire un plan de réduction efficace et ambitieux.
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