Que sont les émissions évitées ? Comment calculer cet indicateur vers la neutralité carbone mondiale, aussi surnommés scope 4 ? Quels sont les bénéfices stratégiques pour une entreprise, et ses parties prenantes ? Découvrons ensemble les forces et les limites des émissions évitées et comment bien les utiliser dans une stratégie de communication… Sans tomber dans le greenwashing. C’est parti !
1. Émissions évitées (ou scope 4) : qu’est-ce que c’est ?
1.1 Émission évitée : définition
Les émissions évitées représentent la réduction des rejets de gaz à effet de serre, permise par l’entreprise (via ses activités, produits et/ou services), en dehors de son périmètre d’activité. On les appelle aussi scope 4.
On ne parle pas du bilan carbone de l’entreprise ni de la réduction de ses émissions au fil des années. Mais bien des gaz à effet de serre évités grâce à la vente de produits ou services — lorsqu’ils offrent une alternative moins carbonée. Leur utilisation représente moins d’émissions que les produits qu’ils remplacent : on a donc évité des émissions.
1.2 Exemples de produits ou services évitant des émissions de gaz à effet de serre
Pour mieux comprendre, prenons quelques exemples d’alternatives bas-carbone, et le scénario carboné évité. L’entreprise pourrait calculer l’indicateur du scope 4 sur ces différents produits et services.
1.3 Un des trois piliers vers la neutralité carbone mondiale
Le calcul des émissions évitées s’inscrit dans une stratégie plus large de contribution à la neutralité carbone mondiale. Elle ne suffit pas à elle seule.
Ainsi, la Net Zéro Initiative (NZI) propose ces 3 piliers dans son référentiel.
- Réduction des émissions directes et indirectes de l’entreprise, à l’aide du bilan carbone (scopes 1 à 3) et plan d’action.
- Évitement d’émissions, par rapport à un scénario de référence, en proposant des produits ou services moins émetteurs.
- Augmentation des puits de carbone, permettant de capter et stocker du CO2 de l’atmosphère.
Comparons ces trois piliers.
💡 Pour en savoir plus : pourquoi la neutralité carbone est un non-sens scientifique ?
2. Les avantages et limites du scope 4, pour l’entreprise et ses parties prenantes
2.1 Un avantage compétitif pour les entreprises de la transition
Le calcul des émissions évitées permet d’aller plus loin que l’empreinte carbone de l’entreprise. Il s’agit de questionner le business model, pour qu’il contribue à la neutralité carbone mondiale et s’intègre à un monde « net zero emission ».
Pour l’entreprise proposant des alternatives éco-responsables, valoriser les émissions évitées, c’est valoriser la pérennité environnementale de leur business model. Réparation de vélo, boutiques de seconde-main, reconditionneur d’équipements informatiques… L’augmentation de l’activité de ces entreprises est bénéfique pour le climat, puisqu’elles remplacent des produits et services plus polluants.
Calculer et valoriser leurs émissions évitées, c’est donc se positionner comme un organisme luttant contre le changement climatique. Une image à valoriser auprès de la clientèle, des partenaires, des investisseurs et autres parties prenantes.
2.2 Le calcul des émissions évitées : bénéfique à plusieurs niveaux
Cet indicateur est bénéfique pour toutes les parties prenantes.
- Pour l’entreprise, qui gagne en compétitivité. Valoriser une démarche bas-carbone auprès des parties prenantes donne une meilleure image de marque, face aux enjeux climatiques. Par ailleurs, les produits et services sont plus attractifs, grâce aux arguments environnementaux.
- Pour la direction de l’entreprise, qui peut orienter le business model vers des alternatives bas-carbone — en intégrant des paramètres extra-financiers à la prise de décision.
- Pour les investisseurs, qui peuvent alors diriger leurs capitaux vers des solutions positives pour le climat.
- Pour les consommateurs et consommatrices, de plus en plus attentifs aux engagements environnementaux des entreprises, qui peuvent facilement comparer différentes solutions et orienter leurs choix vers les alternatives bas-carbone.
- Pour l’ensemble des parties prenantes, qui ont davantage de transparence sur l’impact climatique des activités.
Bref, à une échelle plus globale, le calcul des émissions évitées permet d’orienter l’économie et l’industrie vers un monde bas-carbone.
À noter : une démarche de réduction des émissions carbone ne se fait pas au détriment du chiffre d’affaires… Bien au contraire ! Début 2023, l’ADEME a sorti une étude sur les bénéfices économiques d’une démarche d’écoconception. Résultat ? Tous les feux sont au vert ! Dans la plupart des cas, on note une augmentation du chiffre d’affaires, un gain de part de marché, une meilleure satisfaction client, une plus forte attractivité du produit, une amélioration des performances techniques du produit (ou une stabilisation, mais pas une baisse)... Et, bien sûr, de nets bénéfices environnementaux.
2.3 Les limites du scope 4
Gardons en tête que…
- L’évaluation des émissions évitées comporte une part d’incertitude. Le choix et la quantification précise du scénario de référence sont cruciaux pour la pertinence de l’indicateur.
- Seul, le calcul des émissions évitées ne permet pas de conclure sur la compatibilité du business model de l’entreprise, avec la neutralité carbone mondiale. NZI propose d’ailleurs d’introduire un nouvel indicateur : le SCAP, Score de Compatibilité avec l’Accord de Paris.
- Par ailleurs, l’ADEME rappelle aux organisations que la priorité doit être la réduction des émissions carbone, au regard des scope 1 à 3. Promouvoir les rejets carbone évités, sans agir sur sa propre empreinte climatique… Cela serait du greenwashing.
3 étapes pour calculer ses émissions évitées
Passons maintenant à la question qui vous taraude : comment calculer les émissions carbone évitées ?
Il n’existe pas de norme internationale encadrant cette quantification. Cependant, la Net Zero Initiative propose un cadre méthodologique rigoureux, de calcul et reporting.
La méthodologie de calcul, en un coup d’œil
Globalement, le calcul consiste à comparer les émissions GES du produit ou service, avec celles du produit ou service remplacé.
On ne regarde pas les émissions réellement émises, mais on se demande plutôt : quelles émissions supplémentaires auraient été émises sans mon activité ? En ce sens, la quantification des émissions évitées est virtuelle. Elle implique d’identifier et décrire un scénario de référence - le plus probable en l’absence du produit ou service alternatif.
Lançons-nous dans la méthodologie en 3 étapes, proposée par la NZI.
Étape 0 : choisir les produits ou services à évaluer
En amont du calcul, il s’agit de choisir les produits ou services dont le scope 4 sera évalué. 3 critères sont à respecter.
- La solution doit être compatible avec l’objectif des Accords de Paris : moins de 1,5 °C de réchauffement climatique.
- Elle ne doit pas favoriser, sur le long terme, le maintien d’une activité incompatible avec cet objectif. Par exemple, l’optimisation d’un moteur d’avion fonctionnant au kérosène.
- Elle ne doit pas générer d’impacts négatifs significatifs sur d’autres indicateurs environnementaux : biodiversité, rejets polluants, acidification de l‘eau, etc.
1. Calculer l’empreinte climatique de la solution
La première étape : évaluer les rejets carbone générés par la solution, tout au long de son cycle de vie. De la fabrication à la fin de vie, en passant par l’usage : quelle quantité de gaz à effet de serre est libérée dans l’atmosphère ? Pour cela, on doit identifier le contexte dans lequel la solution s’insère : habitudes des usagers, mix énergétique du pays de destination (en France, on bénéficie d’une électricité bas-carbone), etc.
2. Évaluer les émissions générées sans la solution (scénario de référence)
Deuxième étape, cruciale et déterminante pour la pertinence du calcul : quantifier le scénario de référence. En effet, on évalue les émissions évitées comme la différence d’émissions entre cette référence et l’alternative permise par l’organisation.
Pour l’identifier, on répond aux questions suivantes : « Que se serait-il passé si mon activité n’avait pas eu lieu ? Quel produit ou service aurait été utilisé sans ma solution, et quelles seraient les émissions GES correspondantes ? ».
Il est important d’identifier le scénario le plus probable et conservateur. Pour cela, on peut se baser sur…
- La situation avant l’introduction de la solution décarbonante.
- La moyenne de l’empreinte carbone des produits et services alternatifs.
Attention à ne pas surestimer les émissions du scénario de référence… Au risque de décrédibiliser votre calcul.
- Veillez à expliciter et justifier l’ensemble des hypothèses choisies.
- Pensez aussi à évaluer le taux de substitution de votre solution : quel pourcentage de vos ventes vise à remplacer une solution carbonée ?
3. Calculer les émissions évitées, différence entre le scénario de référence et la situation permise
Enfin, on calcule les émissions évitées en soustrayant les émissions de la solution, à celles du scénario de référence — sur l’ensemble de leur cycle de vie.
Émissions évitées d’une solution = CO2e du scénario de référence — CO2e de la solution.
À l’échelle de l’entreprise, on multiplie ce résultat par le nombre d’unités vendues… Et on additionne, le cas échéant, les émissions évitées par les différents produits et services.
4. Valoriser ses émissions évitées… Sans greenwashing : 4 conseils
Dans la communication, le greenwashing (volontaire ou pas !) se cache dans les détails… Voyons 4 recommandations pour éviter d’induire en erreur vos parties prenantes.
4.1 Un calcul fiable et conservateur
L’anti greenwashing commence dès la quantification ! Par essence, les émissions évitées sont virtuelles… Donc soumises aux incertitudes. Tout dépend de vos hypothèses de calcul. Quelques recommandations pour ne pas surestimer votre scope 4.
- À l’étape 1 de la méthode NZI : Prendre en compte l’ensemble du cycle de vie. Vos produits et services évitent peut-être des émissions de GES… Mais ils en émettent aussi. De la fabrication à la fin de vie, tous les rejets carbone sont à prendre en compte.
- À l’étape 2 : Bien choisir la situation de référence, en se demandant : que se serait-il passé sans mon activité ? Choisissez des hypothèses conservatrices, afin d’éviter tout risque de surestimer les émissions évitées. Cela vaut pour la nature des produits et services remplacés, mais aussi leur volume. Ne vous contentez pas d’estimer l’ensemble du marché.
- À l’étape 2 : Ne pas négliger les effets rebonds. Un changement de produit ou service est rarement un simple remplacement : le changement de comportement est à anticiper. Un exemple typique est la 5G. Chaque donnée échangée utilise moins d’énergie… Cependant, la rapidité de navigation incite à consommer davantage de données. Autre exemple : le télétravail. Certes, on évite le trajet jusqu’au bureau, mais on ajoute : le chauffage de chaque domicile, la pollution numérique, les trajets quotidiens habituellement réalisés sur le chemin du travail (courses, déplacement des enfants, etc.) qui sont maintenus, etc.
- Réaliser une revue critique de l’ensemble de la méthode. Cela permettra d’asseoir la crédibilité de votre entreprise et de vos engagements RSE.
4.2 Un bilan carbone sans raccourci
Il est tentant de calculer les émissions évitées, de les soustraire à son bilan carbone, pour conclure : mon entreprise (voire, mon produit !) est « zéro émission nette » !
Pourtant, rappelons que la neutralité carbone n’existe pas au niveau d’une entreprise. Cette notion n’a de sens qu’à l’échelle planétaire — ou, éventuellement, à l’échelle d’un pays ou continent.
✋ Bien que surnommées « scope 4 », les émissions évitées ne peuvent pas être utilisées pour compenser les émissions des catégories 1, 2 et 3. Elles ne doivent pas donner lieu à des allégations mensongères, du type « produit neutre en carbone ».
4.3 Une communication transparente
Lorsque vous communiquez sur votre empreinte climatique : faites preuve d’exhaustivité, autant que possible.
- Prenez en compte l’ensemble des produits et services de l’entreprise. C’est trop facile de ne valoriser que quelques produits décarbonants. Pour réellement utiliser le potentiel stratégique de cette catégorie d’émissions, osez parler de l’ensemble de vos activités - et prendre des décisions stratégiques ambitieuses les concernant.
- Faites preuve de transparence dans les rapports RSE. Expliquez la méthodologie de calcul, décrivez la situation de référence, détaillez ce qui a été pris en compte ou non, identifiez les limites du calcul, etc. Restez ouvert.e aux retours et bonification sur vos hypothèses.
- Apportez de la précision. Par exemple, indiquez le pourcentage de votre chiffre d’affaires permettant d’éviter des émissions.
- Choisissez des mots qui n’induisent pas en erreur. Parlez de « contribution aux émissions évitées » lorsque plusieurs acteurs en sont responsables. Un TGV par exemple, ne fonctionnerait pas sans les rails, les gestionnaires du réseau ou le fournisseur d’électricité.
- Appuyez-vous sur les normes ISO pour votre communication : normes ISO 14067 et ISO 14064-1.
💡 Pour aller plus loin, découvrez des exemples de greenwashing décryptés.
4.4 Une stratégie RSE sans compromis
Enfin, ne vous arrêtez pas à un chiffre sur votre rapport RSE et vos supports de communication.
- Intégrez le calcul des émissions évitées à une stratégie globale de réduction de vos émissions carbone.
- Utilisez cet indicateur stratégique comme aide à la décision — pour questionner votre business model, faire évoluer vos produits et services conformément aux enjeux climatiques.
Vous savez maintenant comment valoriser vos activités décarbonantes : grâce au calcul des émissions évitées. Pour les évaluer de manière fiable et la plus exhaustive possible, faites-vous accompagner !
Sources
- Le Guide Pilier B, Net Zero Initiative (Carbone 4), 2022.
- Proposition d’un nouvel indicateur climat, NZI (Carbone 4), 2022.
- Un référentiel pour une neutralité carbone collective, NZI (Carbone 4), avril 2020.
- Méthode pour la réalisation des bilans d’émissions de gaz à effet de serre, ministère de la Transition écologique en France, juillet 2022, pp. 47 - 48.
- Émissions évitées, de quoi parle-t-on ?, ADEME, janvier 2020.
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