Selon le rapport intermédiaire publié ce jeudi 20 juin 2024 par l’association Les Shifters, les seuls déplacements des visiteurs internationaux pour se rendre aux Jeux de Paris devraient engendrer environ 1,1 million de tonnes d’équivalent CO2, soit plus de deux fois le budget carbone annoncé par Paris 2024 pour le volet déplacements.
Résultat, malgré des ambitions élevées et une empreinte carbone qui devrait être plus faible que lors des éditions précédentes, les Jeux de Paris ne tiendront probablement pas leur objectif climatique.
Sami est très fier de soutenir fidèlement les Shifters et la publication de ce rapport.
Sans mesures de réduction ambitieuses des émissions liées aux déplacements des visiteurs étrangers, il semble impossible “qu’un tel évènement puisse un jour être compatible avec l’Accord de Paris et donc pérenne”.
Voilà pourquoi, les auteurs, au-delà de la mesure des émissions liées aux déplacements internationaux, proposent dans ce rapport un modèle alternatif pour les futurs Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) et autres évènements sportifs de grande ampleur.
Il s’agirait de limiter le nombre de visiteurs internationaux afin de réduire massivement les déplacements les plus carbonés. Et dans le même temps de créer des fan-zones décentralisées sur tous les continents afin d’accueillir de nouveaux visiteurs se déplaçant sur de plus courtes distances et avec des modes de transports moins émissifs.
Cela permettrait à la fois de répondre à l’enjeu climatique et de maintenir, voire d’accroître, la ferveur populaire qui entoure les Jeux.
1. Estimation de l’impact carbone des déplacements des visiteurs internationaux lors des JOP de Paris 2024
Voici les différentes hypothèses retenues pour le calcul des émissions liées aux déplacements des visiteurs internationaux pour Paris 2024.
- Nombre de visiteurs attendus
A partir du nombre de visiteurs internationaux qui se sont rendus aux Jeux de Londres en 2012, les derniers Jeux sur le sol européen, et du nombre de billets qui seront vendus pour les Jeux de Paris (environ 12,1M de billets), les auteurs estiment qu’environ 768 000 visiteurs étrangers, dont 305 000 extra-européens, sont attendus cet été à Paris. Il ne s’agit ici que des visiteurs en possession d’un billet.
En s’appuyant de nouveau sur les données des rapports produits après les JO de Londres, notamment celui de l’Office national des statistiques “Travel Trends 2012”, publié en 2013, les auteurs ont retenu une répartition quant à l’origine géographique des visiteurs étrangers.
- Distances parcourues
Pour chacun des pays ou continents d’origine des visiteurs, c’est la distance entre Paris et le centre du pays ou de la zone géographique concernée qui a été retenue pour le calcul. Soit, par exemple, 15 000 km pour un aller-retour entre l’Amérique du Nord et l’Europe.
Pour les visiteurs européens, la répartition entre les différents modes de transports se base sur l’étude des déplacements des supporters européens menée lors de l’Euro de football organisé en France en 2016. Par exemple, un visiteur allemand se déplace jusqu’en France en avion dans 45% des cas, en voiture dans 41% des cas, en train dans 10% des cas ou en bus dans 4% des cas.
- Bases de données
Afin de calculer les émissions associées à chaque déplacement, il faut ensuite utiliser un facteur d’émissions. 3 bases de données carbone ont été sélectionnées :
- la base DGAC (direction générale de l’aviation civile) : la DGAC réalise le calcul des émissions imputables à l’activité de l’aviation en France avec le calculateur TARMAAC (Traitements et Analyses des Rejets éMis dans l’Atmosphère par l’Aviation Civile).
- la base Empreinte de l’ADEME : il s’agit de la base de données publique officielle de facteurs d'émission pour la France.
- la base DEFRA : l’équivalent de la Base Empreinte pour le Royaume-Uni, c’est notamment cette base qui a été utilisée pour estimer les émissions de gaz à effet de serre des Jeux de Londres en 2012. C’est aussi cette base de données que le CIO encourage d’utiliser pour estimer les émissions de GES associées aux déplacements aériens lors des éditions olympiques.
- Résultats
Voici les émissions attendues pour les déplacements des visiteurs internationaux (seulement ceux qui disposent d’un billet) pour les Jeux de Paris :
- avec la base DGAC : 730 000 t CO2e, un chiffre supérieur de 37% au budget carbone total des déplacements de Paris 2024.
- avec la base Ademe : 1 020 000 t CO2e, soit un excès de 90% au regard du budget carbone associé à l’ensemble des déplacements internationaux et nationaux pour Paris 2024.
- avec la base DEFRA : 1 120 000 t CO2e, soit 108% de plus que le budget carbone des déplacements de Paris 2024.
Etant donné que la base DEFRA est celle qui a été utilisée par les Jeux de Londres et que c’est cette base qui est recommandée par le CIO pour estimer les émissions de CO2, les auteurs du rapport estiment que ce chiffre de 1,1 million de tonnes de CO2e est le plus réaliste.
- Conclusion pour les émissions
Les déplacements des visiteurs internationaux munis d’un billet pour les Jeux Olympiques ou Paralympiques devraient donc représenter environ 1,1 million de tonnes de CO2e. Les auteurs estiment par ailleurs que les déplacements intra-France durant l’évènement devraient peser environ pour 116 000 tonnes de CO2e. Soit, au total, 1,2 million de tonnes de CO2e pour les déplacements.
C’est plus de deux fois le budget carbone pour le volet déplacements qui avait été fixé par le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJOP), 537 000 tonnes de CO2e.
Le COJOP avait fixé un budget carbone total pour les Jeux de Paris de 1,58 million de tonnes de CO2e, avec cette répartition :
En mai 2024, les organisateurs ont ramené les émissions liées à la construction à 349 000 tonnes de CO2e au lieu des 521 000 tonnes annoncées initialement. Ce qui est une bonne nouvelle. Mais en ajoutant le budget carbone des opérations et notre estimation sur les déplacements, les Jeux de Paris devraient émettre près de 2,1 millions de tonnes de CO2e.
Il est important de noter que malgré le dépassement du budget carbone fixé en amont, les Jeux de Paris devraient tout de même générer 36% d’émissions de moins que les Jeux de Londres, avec pourtant 10% de billets vendus supplémentaires. Des initiatives efficaces ont été mises en place, notamment les 95% d’infrastructures existantes ou temporaires pour les Jeux qui ont permis de réduire massivement les émissions liées à la construction.
2. Des fan-zones décentralisées, un nouveau modèle pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris ?
Sans mesures fortes de réduction des émissions liées aux déplacements internationaux, il paraît impossible d’organiser de futurs Jeux Olympiques et Paralympiques, ou d’autres grands évènements sportifs d’ailleurs, compatibles avec l’objectif climatique de l’Accord de Paris.
Voilà pourquoi les auteurs de ce rapport détaillent un modèle alternatif qui repose sur deux mesures à mettre en place en parallèle :
- la limitation drastique du nombre de billets vendus aux spectateurs internationaux pour maximiser la vente aux spectateurs locaux et à ceux des pays limitrophes afin de permettre des déplacements peu carbonés.
- la création de fan-zones décentralisées et régionalisées, pilotées par l’organisateur des JOP, afin d’accueillir les spectateurs internationaux mais près de chez eux, permettant des transports moins émissifs.
Cette proposition innovante emporte 3 intérêts majeurs :
- Elle permet de réduire la distance parcourue par les visiteurs pour se rendre dans la ville qui accueille les Jeux Olympiques tout en diminuant considérablement la part de visiteurs se rendant en avion à l’événement.
- Elle ouvre la compétition à un nombre plus important de visiteurs (distance plus courte et prix plus accessibles).
- Elle compense la perte de revenus engendrée par la baisse du nombre de visiteurs étrangers en augmentant largement le nombre de visiteurs via les fan-zones.
Les auteurs du rapport proposent de créer ainsi 8 fan-zones réparties sur les 5 continents. Ces fan-zones pourraient accueillir jusqu’à 2,1 millions de personnes, soit 6,5 millions de visites (3 visites par personne en moyenne).
Plusieurs hypothèses ont été retenues pour les déplacements vers ces fan-zones :
- Seulement 3% des visiteurs qui utilisent l’avion et 50% la voiture pour se rendre à l’événement (en tentant d’inciter au maximum à éviter ces modes de transport).
- Les déplacements en avion ont une distance moyenne de 4 000 km aller-retour et ceux en voiture 500 km.
Si ces hypothèses sont respectées, les 8 fan-zones régionalisées engendreraient l’émission de 334 000 tonnes de CO2e. Si on ajoute les émissions liées aux déplacements à l’intérieur du pays organisateur, celles des visiteurs des pays limitrophes et des proches des athlètes, le budget carbone déplacements fixé par les Jeux de Paris par exemple (537 000 tonnes de CO2e) serait respecté.
Conclusion
“Il est très simple de balayer d’un revers de la main toutes les activités considérées comme non-essentielles. Il est tout à fait possible de vivre sans Jeux Olympiques et Paralympiques. Cependant, les secteurs des loisirs, du spectacle et de l’événementiel font partie de nos sociétés modernes et il nous semble irréaliste d’imaginer que tout pourrait - ou devrait - disparaître en un claquement de doigts. Au-delà, il peut même être défendu qu’il serait contre-productif de réglementer prioritairement ces secteurs au vu de l’impopularité que susciterait une telle mesure.
C’est parce que nous aimons les Jeux Olympiques que nous les souhaitons différents.
Nous appelons de nos vœux les prochains événements sportifs ou culturels à s’engager encore plus loin, en se fixant des objectifs ambitieux et en mettant en place des actions crédibles et efficaces, notamment sur le volet des déplacements internationaux. A ce titre, les JO d’hiver potentiellement organisés en France en 2030 doivent donner le ton et montrer que ce modèle est réaliste et indispensable pour limiter notre impact carbone rapidement et drastiquement.”
Alexis Lepage et Paul Delanoë, co-auteurs du rapport Jeux Olympiques et Paralympiques : faire face au défi climatique et énergétique des déplacements internationaux.
Voici la page où vous trouverez le rapport complet publié ce jeudi 20 juin 2024.
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