Construire un plan de transition aligné avec la CSRD

Baptiste Gaborit

Rédacteur Climat

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La CSRD est entrée en vigueur le 1er janvier 2024 et les premières publications des reporting extra-financiers sont attendues dès 2025.

Pour encadrer et harmoniser ces publications, des standards de reporting européens ont été créés : ce sont les normes ESRS.  

Au sein de ces ESRS, l’ESRS E1 est dédié au changement climatique. L’objectif de cette norme, c’est de pouvoir comprendre quel est l’impact de l’entreprise sur le changement climatique et comment cette entreprise met ou compte mettre en place des politiques afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre ou de s’adapter au changement climatique. 

Et au sein de cet ESRS E1, l’élément central, c’est la publication par l’entreprise d’un plan de transition pour l’atténuation du changement climatique. C’est ce qui est demandé dans le DR n°1 (ESRS E1-1).

Comment construire son plan de transition climatique ? Que doit-il contenir pour respecter les informations demandées par la CSRD ? Comment en faire, au-delà d’un simple exercice de reporting, un élément central dans la stratégie de l’entreprise ? 

On vous détaille les enjeux majeurs de ce plan de transition. 

1. Cadre général et ambition du plan de transition

Pourquoi ce plan de transition ?

L’objectif, c’est de permettre aux investisseurs qui vont venir analyser les publications extra-financières des entreprises de s’assurer que le plan de transition élaboré par l’entreprise est compatible avec l’Accord de Paris, c'est-à-dire avec un scénario de réchauffement climatique limité à 1,5°C. 

Il ne s’agit pas seulement ici de vérifier que l’entreprise s’est fixée un objectif de réduction des émissions de GES en 2030 ou en 2050 et de voir à quel point cet objectif est ambitieux ou pas. L’objectif de baisse des émissions n’est qu’un point parmi d’autres. L’enjeu, c’est bien de s’assurer que l’entreprise déploie un plan de transition complet avec des objectifs ambitieux, des moyens adaptés et un suivi de sa mise en œuvre.

Quel est l’objectif fixé ? A quelle échéance ? A quoi ressemble la trajectoire de décarbonation de l’entreprise ? Quels sont les leviers qui sont ou qui vont être mis en place pour atteindre ces objectifs ? Quels sont les moyens financiers qui vont y être associés ? Quelles sont les émissions bloquées ? Et comment l’entreprise fait évoluer sa gouvernance afin de suivre et de contrôler la mise en place et les résultats de ce plan de transition ? 

Voici un récapitulatif des informations attendues dans ce plan de transition. 

plan de transition CSRD
Source : Déployer les ESRS, un outil de pilotage au service de la transition, Autorité des normes comptables (ANC)

2. Les éléments clés du plan de transition

2.1 Une trajectoire de décarbonation

C’est l’élément central du plan de transition : la trajectoire de décarbonation. Quelle est l’année de référence et quelle est l’année cible pour l’atteinte des objectifs ? Quels sont les objectifs fixés ? Comment y arriver ? Est-ce qu’ils sont compatibles avec un scénario 1,5°C ? 

Voilà comment pourrait se présenter la publication d’une trajectoire de décarbonation :

Trajectoire de décarbonation CSRD
Source : Déployer les ESRS, ANC

Cette trajectoire de décarbonation nécessite pour l’entreprise de calculer et publier des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

Ce point fait donc référence directement à ce qui est demandé dans le DR n°4 de l’ESRS E1 sur les objectifs liés à l’atténuation du changement climatique. 

Plusieurs points sont à retenir afin de publier des objectifs conformes aux ESRS : 

  • l’objectif de réduction des émissions doit être exprimé en valeur absolue et, en complément si cela a un sens, en intensité. 

  • l’objectif de réduction doit être publié en valeur brute, c’est-à-dire sans compter les crédits carbones, les émissions absorbées ou les émissions évitées.

  • l’objectif doit concerner les émissions des scopes 1, 2 et 3. Soit l’entreprise publie des objectifs séparés (par scope) soit un objectif agrégé. 

  • l’entreprise doit fixer une année référence, une valeur référence et une valeur cible au moins pour l’année 2030, si possible pour 2050 si elle dispose d’un objectif à ce terme. Après 2030, les valeurs cibles sont fixées tous les 5 ans, c’est-à-dire pour 2035, 2040, 2045 et donc 2050. L’année de référence doit être comprise dans les 3 ans qui précèdent la première année de reporting au format CSRD. Pour la valeur de référence, l’entreprise peut faire une moyenne de ses émissions sur 3 ans afin que cela soit plus représentatif et pour corriger certains effets conjoncturels (forte hausse des émissions liées à une consommation élevée suite à des anomalies de températures sur une année par exemple).  

Enfin, c’est un point capital dans la fixation des objectifs et la trajectoire de décarbonation, l’ESRS E1-1 précise bien que la trajectoire de l’entreprise doit être compatible avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C conformément à l’Accord de Paris.  

Comment s’assurer que sa trajectoire de décarbonation est compatible avec l’Accord de Paris ? 

Les ESRS indiquent que les objectifs doivent être basés prioritairement sur une méthodologie de décarbonation sectorielle si elle existe et si ce n’est pas le cas, sur une méthodologie de décarbonation absolue. 

L’entreprise doit donc suivre un cadre méthodologique basé sur l’Accord de Paris. Sont souvent cités le référentiel SBTi (avec les approches sectorielles ou de contraction absolue) ou le scénario Net Zero de l’Agence internationale de l’énergie. 

L’entreprise devra bien préciser dans son reporting quelle méthodologie et quel cadre ont été utilisés pour définir les objectifs de réduction. 

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2.2 Publication des leviers de décarbonation

L’entreprise doit publier les leviers de décarbonation et les actions clés qu’elle a déjà ou qu’elle va mettre en place afin d’atteindre ses objectifs. 

On retrouve là des informations qui sont demandées également dans les DR n°3 et 4 de l’ESRS E1. 

Ce plan peut inclure : l'adoption de sources d'énergies renouvelables, l'amélioration de l'efficacité énergétique, la réduction de la consommation de carburant, etc. 

L’objectif, c’est de pouvoir s’assurer de l’ambition du plan de transition et de sa traduction concrète en action. 

L’entreprise doit être en mesure de pouvoir à la fois lister les leviers de décarbonation, les décrire, quantifier leur contribution individuelle à la trajectoire de décarbonation et indiquer à quel horizon ils vont être déployés. 

Ces leviers peuvent être présentés en même temps que la trajectoire de décarbonation comme dans le schéma présenté un peu plus haut ou dans un tableau comme ci-dessous : 

leviers de décarbonation CSRD
Source : EFRAG

2.3 Calcul et publication des “émissions verrouillées” ou “émissions bloquées”

Les émissions verrouillées ou bloquées, ce sont les émissions engendrées par les actifs et les produits de longue durée de vie de l’entreprise et sur toute leur durée de vie. Il peut s’agir par exemple de l’installation d’une chaudière industrielle au gaz ou au fioul pour une usine. 

Il faut alors calculer les émissions engendrées par l’utilisation de cette installation et ce sur toute sa durée de vie. 

Les actifs clés à prendre en compte sont ceux qui sont actifs, c’est-à-dire déjà opérationnels, mais aussi les actifs fermement planifiés, c’est-à-dire ceux qui seront probablement déployés par l’entreprise dans les 5 prochaines années. 

L’entreprise doit calculer la somme des émissions de GES associées à ces actifs sur les scopes 1 et 2. Elle doit le faire aussi pour les émissions de GES liées à la phase d’utilisation directe des produits vendus si cette même entreprise a identifié la catégorie “utilisation des produits vendus” du scope 3 comme significative (au sens du GHG Protocol). 

Pourquoi le calcul des émissions verrouillées est-il important ? Parce qu’il va permettre de juger de la cohérence des objectifs de l’entreprise et de ses leviers de décarbonation avec les émissions bloquées pour de très nombreuses années ou décennies. 

C’est un élément central aussi pour les investisseurs afin de se rendre compte des risques de transition qui vont peser sur ces émissions de gaz à effet de serre et qui risquent de coûter cher (taxe carbone, autres réglementations, risques réputationnels, risques juridiques…) à l’entreprise. 

Les entreprises devront ainsi, dans leur reporting, expliquer si ces émissions verrouillées mettent en danger l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de GES et si elles entraînent des risques de transition. Enfin, l’entreprise doit pouvoir expliquer comment elle va gérer ses actifs échoués (AR 3, c du DR n°1) en mettant un place un plan afin de réduire les émissions associées : fermeture des installations trop intensives en GES ou en énergie, modernisation des installations, utilisation d’énergies renouvelables, etc.

2.4 Ressources financières allouées au plan de transition

L’entreprise doit dévoiler la nature (dépense financière, humaine…) et les montants des dépenses d’investissement (CapEx) et les dépenses opérationnelles (OpEx) qui sont ou qui seront affectées au plan de transition. 

Cela fait référence directement aux ressources dont la publication est demandée dans le DR n°3 de l’ESRS E1 et aux éléments de l’ESRS 2. 

Les points suivants sont attendus : 

  • la nature des ressources (financières et autres) actuelles et futures allouées au plan de transition. 

  • le montant des ressources financières disponibles actuelles et futures de l’entreprise

  • l’entreprise doit relier le montant des dépenses d’investissement (CapEx) et des dépenses opérationnelles (OpEx) mises en œuvre pour le plan de transition avec les postes pertinents dans les états financiers. Objectif, comprendre comment les dépenses du plan de transition s’intègrent plus largement dans les dépenses globales de l’entreprise. L’ESRS E1-3 précise bien que l’entreprise ne doit divulguer que les CapEx et les OpEx significatifs et nécessaires à la mise en œuvre des leviers de décarbonation. 

  • l’entreprise doit expliquer si et dans quelle mesure sa capacité à mettre en œuvre les actions dépend de la disponibilité et de l’allocation des ressources.

  • l’entreprise doit pouvoir expliquer comment le plan de transition a été pensé pour s’intégrer et s’aligner sur la stratégie commerciale globale et la performance financière de l’entreprise. Autrement dit, est-ce que les objectifs de croissance de l’entreprise sont cohérents avec le plan de transition et est-ce que ce dernier prend en compte la transition de l’entreprise et de la société vers une économie bas carbone ? 

Dans le cadre de la publication d’un guide dédié également au plan de transition, Rendre compte de son plan de transition au format ESRS, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a interrogé plusieurs dizaines d’entreprises. Sur ce sujet des montants financiers alloués au plan de transition, beaucoup de ces entreprises font état de leur difficulté à déterminer de façon précise les moyens alloués au plan de transition au-delà de 5 ans, c’est-à-dire à moyen et long terme. 

2.5 La gouvernance et le suivi du plan de transition

L’ESRS E1-1 demande aux entreprises d’expliquer leur progression dans la mise en œuvre du plan de transition. 

Pour cela, il leur est demandé de mettre en place des indicateurs permettant une évaluation externe de l’avancement du plan. 

Différents indicateurs peuvent être suivis mais les plus évidents pour rendre compte de la progression des objectifs climatiques de l’entreprise sont : 

  • les émissions de GES, totales et par scope. Le DR n°6, qui précise les informations attendues dans la publication des émissions totales de GES de l’entreprise, souligne bien que le calcul des émissions de GES est un prérequis afin de mesurer les progrès réalisés dans la baisse de ces émissions et dans l’atteinte des objectifs climatiques de l’entreprise et de l’UE. 
  • les consommations d’énergie et le mix énergétique
  • les investissements dans des technologies propres

Les investisseurs interrogés par l’AMF dans le guide cité précédemment soulignent que le suivi et le pilotage du plan de transition font partie des éléments significatifs dans leur analyse du plan de transition et du reporting climat des entreprises. 

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3. Les autres éléments attendus

3.1 Reporting et alignement avec la Taxonomie

L’article 8 de l’acte délégué sur la Taxonomie européenne, publié en 2021, oblige les entreprises non financières à publier leur chiffre d'affaires “vert” c’est-à-dire la part durable de leur CA mais aussi de leurs CapEx et de leurs OpEx. 

Par ailleurs, l’ESRS E1-1 indique que les entreprises doivent mentionner leur objectif d’alignement de leurs activités économiques avec le règlement sur la Taxonomie. 

Le DR n°3 oblige lui les entreprises à faire le lien entre le montant des CapEx et OpEx alloués pour la mise en œuvre du plan de transition avec les indicateurs Taxonomie. 

3.2 Paris Aligned Benchmarks

Enfin, dernier élément à fournir dans le cadre du plan de transition, c’est la situation de l’entreprise vis-à-vis des indices alignés avec l’Accord de Paris (Paris Aligned Benchmarks ou PAB). L’entreprise doit indiquer si elle est exclue ou non des indices de référence alignés sur l’Accord de Paris. 

Ces indices excluent les entreprises dont les objectifs ne sont pas alignés sur l’Accord de Paris ou dont les activités portent atteinte de manière significative à au moins 1 des 6 objectifs environnementaux de l’Union européenne. 

Conclusion 

Vous l’aurez compris, le plan de transition est un document stratégique dans le reporting climat des entreprises. 

Parce qu’il reprend beaucoup d’éléments demandés dans d’autres DR, sur les leviers de décarbonation, sur les ressources allouées à la mise en oeuvre du plan, sur le calcul des émissions de gaz à effet de serre, sur les objectifs de réduction de ces émissions, le plan de transition est en réalité presque un concentré de l’ESRS E1 sur le changement climatique. 

Travailler sur son plan de transition, c’est répondre à beaucoup des informations qui sont attendues dans cet ESRS. 

Mais cela va bien au-delà : il ne s’agit pas seulement de répondre aux obligations introduites par la CSRD. Travailler sur un plan de transition CSRD compatible et crédible, c’est en réalité se doter d’un outil stratégique essentiel pour guider son entreprise vers un marché européen qui sera de toute évidence bas-carbone dans au plus tard dans 25 ans. 

Voici d’autres ressources sur le plan de transition tel qu’il est demandé dans l’ESRS E1 et sur la CSRD : 

- Rendre compte de son plan de transition climatique au format ESRS, Commission climat et finance de l’AMF

- Déployer les ESRS : un outil de pilotage au service de la transition, Autorité des normes comptables (ANC)

- L’ensemble des datapoints attendus dans ce DR n°1 de l’ESRS E1 (et tous les autres datapoints) dans ce document : Sami : CSRD - ESRS Data Points.

- CSRD : tout comprendre à la norme ESRS E1 sur le changement climatique

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- Les normes ESRS : comprendre les critères de reporting européens

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