Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à publier chaque année un rapport extra-financier, aussi appelé “rapport de durabilité”. Et ce, pour plusieurs raisons : contrainte légale avec l’apparition de nouvelles obligations pour les entreprises telles que la CSRD, volonté de l’entreprise de gagner en transparence et de s’engager davantage sur les thématiques ESG, pression de la part des parties prenantes etc.
En parallèle, plusieurs organisations ont créé leurs propres normes de reporting -ou ont enrichi les normes existantes- de durabilité. Les standards de reporting extra-financiers se sont ainsi multipliés. La difficulté pour les entreprises ? Les approches, les critères à remplir, les modalités d’audit, les types de rapport à fournir etc. sont différents selon telle ou telle organisation et il devient difficile pour les entreprises de s’y retrouver.
Quels sont les différents systèmes de reporting extra-financiers existants ? Quels sont les points communs entre eux ? Les différences principales ? Quels sont les critères à remplir et les données à fournir pour chaque reporting ? Quels sont les rapports de durabilité que votre entreprise doit compléter et fournir obligatoirement ?
Vous vous demandez aussi sûrement comment s’articulent ces différentes normes et reportings et leur interopérabilité. Comment ne pas faire des reportings redondants ou contradictoires ? Dans cet article on vous explique concrètement comment naviguer et vous y retrouver face à la multiplication des rapports de durabilité !
1. Panorama des différents systèmes de reporting extra-financiers et leurs standards
Plusieurs organisations (institutions, fondations etc.) ont créé un cadre normatif de reporting extra-financier en développant leurs propres standards et critères. C’est le cas notamment de la Commission européenne qui, dans le cadre de la directive CSRD, a développé des nouveaux critères de reporting à l’échelle européenne : les ESRS. C’est le cas également de l’ISSB avec les ISSB Standards, du Carbon Disclosure Project avec les questionnaires CDP et enfin de la Global Reporting Initiative avec les standards GRI.
- Le cadre européen de la CSRD et les standards ESRS
La Commission européenne, dans le cadre de la directive CSRD entrée en vigueur le 1er janvier 2024, a donné mandat à l’EFRAG pour ériger les nouvelles normes européennes de reporting extra-financier. Les standards créés sont les ESRS et ils sont au nombre de 12. L’ESRS E1 recouvre la thématique “Changement climatique”.
Pour aller plus loin sur les ESRS de manière générale, vous pouvez consulter notre article : “Les normes ESRS : comprendre les critères de reporting européen”.
Et le reporting “taxonomie verte européenne” dans tout ça ?
L’UE en plus de la directive CSRD a adopté le Règlement “taxonomie verte” en 2020. Il s'agit d’un système permettant, à l’aune de certains critères fixés par l’UE, de classer les activités économiques selon qu’elles sont durables sur le plan environnemental ou non.
Cette classification, véritable pilier de la stratégie “finance durable” de l’UE, permet d’offrir une véritable transparence aux investisseurs en les aidant à flécher les flux financiers vers les activités les plus durables. L’objectif ? Toujours celui d’atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050 en Europe !
Concrètement, la taxonomie instaure des obligations de reporting pour les entreprises afin de déterminer si leurs activités sont durables. La taxonomie verte a été intégrée à la CSRD, ce qui implique que les entreprises soumises à la CSRD devront également, en plus de répondre aux critères ESRS, déclarer leur éligibilité et leur conformité à la taxonomie de l'UE !
- L’ ISSB (International Sustainability Standards Board) et les ISSB Standards
L'International Sustainability Standards Board (Conseil international des normes de durabilité) est un organisme créé en 2021 par la Fondation IFRS. Son objectif ? Élaborer des normes internationales d'informations liées à la durabilité, et ce, en partie pour répondre aux différentes attentes des investisseurs. Emmanuel Faber, ancien PDG de Danone, en est le président.
L’ISSB a ainsi développé des standards, appelés les normes ISSB. En juin 2023, les deux premières normes de reporting, intitulées 'IFRS S1' et 'IFRS S2', ont été publiées. Elles se concentrent pour l’instant uniquement sur le volet environnemental. Cependant, des normes liées aux volets social et de gouvernance font l'objet de travaux en cours au sein de l’ISSB.
Les standards IFRS S1 sont accessibles sur cette page.
Les standards IFRS S2 sont accessibles sur cette page.
- Le Carbon Disclosure Project (CDP) et ses questionnaires CDP
Le Carbon Disclosure Project est une organisation à but non lucratif basée au Royaume-Uni qui publie des données sur l'impact des plus grandes entreprises sur l’environnement à l’échelle internationale.
Le CDP a élaboré les “questionnaires CDP” portant sur plusieurs thématiques :
- Le changement climatique (le plus utilisé en pratique), qui vise à évaluer les efforts de l’entreprise pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
- Les forêts : ce questionnaire permet d’évaluer les activités / produits de l’entreprise liés au déboisement.
- L’eau : le questionnaire évalue la prise en compte par l’entreprise des risques actuels et futurs en matière de gestion de l’eau.
Les questionnaires sont accessibles sur le site du CDP.
- La Global Reporting Initiative (GRI) et les standards GRI
La Global Reporting Initiative est un organisme indépendant à but non lucratif qui érige des normes de durabilité à l’échelle internationale. Elle développe et affine des rapports d’information liés au développement durable.
Le GRI a créé les standards GRI, accessibles ici.
2. Quels sont les points communs entre les différents systèmes de reporting existants ?
Toutes ces organisations présentent de nombreux points communs :
- Les objectifs généraux de ces 4 organisations sont les mêmes : sensibiliser les entreprises et les pousser à agir pour atteindre les objectifs climatiques fixés, faire que les activités des entreprises soient davantage transparentes, notamment pour répondre aux attentes des parties prenantes: clients, fournisseurs, investisseurs.
- Bien que les standards diffèrent selon telle ou telle organisation, toutes ces organisations développent et publient des normes d'informations sur la durabilité, qu’il s’agisse d’ériger des critères auxquels les entreprises doivent se conformer ou en publiant des questionnaires auxquels elles doivent répondre. Ces organisations réglementent et encadrent également les modes de collecte, de traitement et de transmission des différentes données qui constitueront les différents rapports extra-financiers.
- En élaborant des normes, toutes ces organisations participent à enrichir la sphère du reporting extra-financier. Elles visent également à la simplifier en tentant de proposer des cadres clairs, pertinents et cohérents pour les entreprises.
Dans un souci de simplification, ces rapports ont tendance à se ressembler de plus en plus. Cependant, de grandes différences existent toujours. Elles sont notamment liées à l’approche choisie par l’organisation, à la tenue de l’audit, aux données à récolter dans le cadre du reporting, au formalisme etc.
3. Quelles sont les différences entre ces 4 standards de reporting extra-financiers ?
3.1 Des différences d’approches entre ces différents systèmes de reporting extra-financier
- Des reportings obligatoires et d’autres qui ne le sont pas
Parmi les quatre cadres analysés, seul le reporting CSRD est obligatoire pour les entreprises qui y sont soumises. Pour rappel, les entreprises qui doivent se conformer obligatoirement à la CSRD sont les entreprises de l’Union européenne dépassant certains seuils ainsi que les entreprises hors Union européenne générant un chiffre d'affaires supérieur ou égal à 150 millions d’euros au sein de l’UE.
Pour en savoir + sur l’éligibilité à la CSRD, consultez notre article : “Tout sur la CSRD : les obligations de reporting extra-financier”
De façon plus générale, pour savoir à quelles réglementations française et européenne votre entreprise est soumise, vous pouvez le découvrir en quelques clics et 2 min top chrono avec notre simulateur RSE.
Les questionnaires CDP et le reporting de la GRI peuvent être complétés au libre choix de l’entreprise et ne sont pas obligatoires.
La mise en conformité avec les standards ISSB, qui était initialement optionnelle, est devenue obligatoire dans certains pays (Brésil, Royaume-Uni).
Concernant le cas des entreprises multinationales qui opèrent dans plusieurs juridictions, elles peuvent tout à fait être dans l’obligation de se mettre en conformité avec plusieurs normes de reporting.
Bien que ces standards ne soient pas tous obligatoires, il peut être judicieux pour une entreprise de se conformer à l’intégralité ou à un maximum d’entre eux. Cela peut même s’avérer nécessaire face à la pression de certaines parties prenantes comme les clients ou les investisseurs : certains investisseurs internationaux peuvent par exemple exiger de l’entreprise qu’elle ait passé son audit, ou qu’elle ait obtenu un score minimum (pour les questionnaires CDP).
- Le champ d’application territorial de ces standards n’est pas le même
La CSRD s’applique uniquement aux entreprises européennes. À l’inverse, l’ISSB, la GRI, et le CDP ont une portée internationale.
Si votre entreprise est européenne mais qu’elle opère à l’international, elle pourra être concernée à la fois par le reporting CSRD mais également par les autres systèmes de reporting internationaux.
- Des approches et des visions différentes concernant l’analyse de matérialité à réaliser en amont du reporting (double matérialité VS simple matérialité)
L’entreprise doit réaliser une analyse de matérialité en amont de la plupart des reportings existants, sauf pour les questionnaires CDP ou aucune analyse de matérialité n’est prévue.
Cependant il existe des différences dans la prise en compte de la matérialité. La CSRD et la GRI exigent une analyse de double matérialité (matérialité financière + matérialité d’impact) alors que l’ISSB ne requiert qu’une analyse de matérialité financière (simple matérialité) de la part des entreprises.
Pour rappel, l’analyse de matérialité peut être simple ou double :
- Selon le concept de “double matérialité”, les entreprises doivent rendre compte à la fois de l'impact de la société et de l’environnement sur la performance financière de leur entreprise (matérialité financière) mais également de l'impact de leurs activités sur la société et l'environnement.(matérialité d’impact).
- Le concept de matérialité simple suppose quant à lui que l’entreprise rende compte uniquement de l’impact de la société et de l’environnement sur la performance financière de l’entreprise, sans prendre en compte la question de l’impact de ses activités sur l’environnement.
Pour en savoir plus sur cette question, vous pouvez lire notre article : “CSRD : comment réussir son analyse de double matérialité ?”
- Le format du reporting est différent
Le CDP sont des questionnaires auxquels l’entreprise doit répondre et fonctionne sur un système de score à obtenir (A,B,C,D,E etc).
Pour les autres systèmes de reporting, l’entreprise doit publier un rapport de durabilité. Elle n’obtient pas de score.
- Le caractère obligatoire ou non de l’audit
Certaines organisations estiment qu’il est obligatoire. C’est le cas du CDP et de la CSRD notamment. Pour d’autres, il est seulement conseillé (GRI).
Tableau récapitulatif des différences d’approches entre les 4 systèmes
Malgré ces nombreuses différences, la plus importante réside probablement dans le fait que les données à collecter dans le cadre de ces différents systèmes de reporting sont différentes.
3.2 Des différences liées aux données à collecter par les entreprises
Tous les systèmes de reporting étudiés ne couvrent pas tous les mêmes dimensions, qu’elles soient environnementales, sociales ou de gouvernance. Certains se cantonnent à lister des critères environnementaux quand d’autres élargissent leur champ d’application aux dimensions sociale et de gouvernance. Pour les entreprises, les données à collecter ne sont donc pas les mêmes ! On fait le point.
- Les critères environnementaux
Bien que tous les cadres de reporting traitent de la dimension environnementale et proposent des critères environnementaux, tous ne couvrent pas ce volet de la même façon !
- Parmi les critères environnementaux, les standards érigés par l’ISSB se cantonnent uniquement au volet climatique. De façon générale, le volet purement “climat” reste l'élément central de tous les cadres normatifs de reporting.
- À l’inverse, les autres normes publiées, que ce soit les ESRS, les questionnaires CDP ou les standards GRI, portent sur des thématiques environnementales allant beaucoup plus loin que l’analyse des émissions de gaz à effet de serre. Elles traitent notamment de l’énergie, la pollution, les ressources en eau, la biodiversité ou encore la gestion des déchets.
- La CSRD et la GRI ont même ajouté des critères couvrant la thématique de l’économie circulaire, ce qui n’est pas le cas de l’ISSB ni des questionnaires CDP.
- Les critères sociaux
- À l’heure actuelle, la CSRD et la GRI sont les seules structures à établir des normes de reporting portant sur le volet social.
- De nombreuses questions et variables sont couvertes à la fois par la ESRS et les standards GRI (la diversité, le dialogue social, la rémunération, la santé et la sécurité, etc). Cependant certaines thématiques du reporting diffèrent : la GRI traite des questions de santé et de sécurité des consommateurs alors que les ESRS ne couvrent pas cette question. À l’inverse, les ESRS couvrent la question des “salaires adéquats” alors que la GRI ne mentionne pas ce point. S’agissant de la sphère sociale, c’est la GRI qui traite du plus grand nombre de problématiques.
- L’ISSB et le CDP n’ont pas publié pour l’instant de critères sociaux même si l’ISSB a prévu d’en intégrer prochainement. Des travaux sont en cours au sein de l’ISSB afin d’étudier la pertinence de développer des normes liées au “capital humain” et à la biodiversité”. Les résultats de ces travaux devraient être connus courant 2025.
- Les critères de gouvernance
La dimension “gouvernance” est uniquement traitée dans le cadre de la CSRD et de la GRI.
L’ISSB a annoncé qu’elle travaillait actuellement à l’intégration de critères liés à la gouvernance dans ses standards. En revanche, les questionnaires CDP ne mentionnent pas l’aspect “gouvernance”.
- Le cas des normes sectorielles
Chaque système de reporting a publié (ou compte le faire) des normes sectorielles.
L’objectif de proposer des normes sectorielles ? S’adapter aux spécificités liées à certains secteurs d’activité fortement émetteurs en gaz à effet de serre.
Concernant la CSRD, 7 ESRS sectoriels sont en cours de développement et devraient être publiés courant 2026.
Diversité des données à collecter, formats de reporting différents … Naviguer entre ces différents rapports peut vite devenir un vrai casse-tête. Le risque ? Que les entreprises se détournent de ces standards par manque de temps, de moyens ou de compréhension.
Alors, afin de limiter ce risque, il est primordial de comprendre comment s’articulent ces différents standards et quelle est l’interopérabilité entre ces systèmes.
4. Interopérabilité, articulation : comment jongler entre les différents reportings ?
Si votre entreprise est en conformité avec la CSRD, est-ce que cela signifie que vous répondez également de façon automatique aux normes de l’ISSB ? Et inversement ? Les systèmes de reporting extra-financiers sont-ils interopérables ? Comment ne pas faire des reportings redondants ou même contradictoires pour gagner un temps précieux ?
4.1 La mise en place de “mappings” pour faciliter l’interopérabilité entre les reportings
Rendre les systèmes de reporting le plus interopérable possible est un enjeu crucial pour faciliter et rendre cohérent le reporting de durabilité au niveau mondial. Mais aussi pour augmenter la transparence et la fiabilité des informations communiquées par les entreprises.
La bonne nouvelle ? Les organisations en charge de ces normes ont bien compris les problématiques liées à la multiplication de ces rapports. Certaines proposent donc des “mappings” ou “tables d’interopérabilité” qui permettent d’identifier les synergies et équivalences entre différentes normes.
Concrètement la table d’interopérabilité peut vous indiquer, par exemple, que telle donnée X récoltée dans le cadre de l’ESRS E4 correspond et est conforme à telle donnée Y prévue par les standards ISSB.
L’autre bonne nouvelle, c’est que grâce à ces tables, des outils de collecte pourront être en mesure de fournir aux entreprises des rapports clés en main pour chaque standard de reporting, à partir des mêmes données collectées.
4.2 Quelle interopérabilité entre la CSRD et les autres systèmes de reporting ?
L’EFRAG, qui a développé les ESRS dans le cadre de la directive CSRD, estime que les ESRS ont un haut niveau d’interopérabilité avec tous les autres systèmes de reporting, limitant ainsi le risque de double reporting.
L’EFRAG a même publié un index permettant de faire correspondre les informations collectées dans les ESRS avec les IFRS, les questionnaires du CDP et les normes de la GRI.
- Interopérabilité entre les ESRS et les standards ISSB
L’EFRAG et l’ISSB ont publié un guide sur l’interopérabilité entre ces deux ensembles de normes. L'UE a même exprimé son intention d'intégrer les exigences de l'ISSB dans le cadre de la CSRD.
- Interopérabilité entre les ESRS et les standards GRI
Selon le GRI, toute entreprise divulguant des informations sous le format des ESRS est réputée avoir effectué son reporting conformément aux standards GRI. Attention la réciproque n’est pas vraie.
- Interopérabilité entre les ESRS et les questionnaires CDP
Le CDP a annoncé travailler sur l'alignement de son questionnaire avec les ESRS et les IFRS S.
- Tableau récapitulatif de l’interopérabilité CSRD & ISSB standards, GRI Standards, Questionnaires CDP
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