EBRA emploie 3500 collaborateurs et compte 9 titres de presse (Le Dauphiné libéré, Le Progrès ou encore L’Est républicain) présents dans 22 départements, de la frontière belge jusqu’à Avignon. 800 000 exemplaires sont diffusés chaque jour, 16,5 millions de visiteurs uniques par mois. Le groupe dispose de 4 centres d’impression print et des centres numériques hébergés par le prestataire de l’actionnaire du groupe EBRA, le Crédit Mutuel.
Rémy Ramstein est le directeur industriel, des achats et de la RSE du groupe de presse EBRA. Dans cette interview, il revient sur toutes les étapes déjà franchies par le groupe dans son projet CSRD, notamment l'analyse de double matérialité et la collecte, en cours, des données qui seront publiées.
Le Crédit Mutuel est l’actionnaire du groupe EBRA. Dans ce cadre, allez-vous publier votre propre rapport de durabilité ou vos informations seront-elles intégrées au rapport consolidé de votre maison mère ?
Les deux ! Les données du groupe EBRA étaient déjà consolidées dans la déclaration de performance extra-financière (DPEF) du Crédit Mutuel donc il ne s’agissait pas de faire marche arrière et de ne plus figurer dans leur rapport de durabilité. Plusieurs pages du rapport du Crédit Mutuel seront donc consacrées aux informations spécifiques que nous allons faire remonter, avec les 5 impacts, risques et opportunités (IRO) matériels propres à notre activité que l’actionnaire a choisi de retenir. Et de notre côté, nous allons publier un rapport de durabilité complet avec le reste des IRO matériels et notre feuille de route.
Le Crédit Mutuel doit publier son premier rapport en 2025 ?
Oui avant la fin mars 2025 sur l’exercice 2024. Nous avons donc le même calendrier à respecter de notre côté.
Nous avons terminé notre analyse de double matérialité en juin dernier et l’objectif désormais est de faire remonter à notre actionnaire les informations attendues. C’est déjà fait pour les données narratives et nous venons de commencer pour les données quantitatives. Nous préparons en ce moment toute la data historique et déjà disponible. Et nous allons attendre le 20 janvier prochain que les arrêtés de compte soient faits pour intégrer la data actualisée de 2024 afin d'officialiser les données quantitatives consolidées dans le rapport du Crédit Mutuel et dans la partie que nous allons publier.
Comment est géré le pilotage de ce projet chez EBRA ?
Le pilotage des activités RSE revient au COMEX qui m’a délégué l’animation du projet. Pour notre groupe, nous avons aujourd’hui ⅓ de mon poste consacré à la RSE ainsi qu’une chargée de projets RSE, associée à une responsable de la consolidation financière qui oeuvre occasionnellement sur ces sujets.
Cela fait désormais un an que nous sommes à pied d'œuvre sur ce rapport de durabilité puisque les premières discussions concrètes remontent à l’automne 2023. Nous avons obtenu le budget nécessaire début 2024, ce qui nous a permis de lancer l’analyse de double matérialité avec un cabinet.
Par ailleurs, notre équipe CSRD rend compte tous les 3 mois au COMEX de l’avancée du projet. Cela a commencé avec le lancement et la compréhension du projet puis la validation des entretiens individuels et des questionnaires pour la consultation des parties prenantes. Il y a eu ensuite les derniers arbitrages sur les résultats de ces entretiens et la cotation des IRO. Enfin, nous avons rendu la matrice de double matérialité en juin dernier. Au prochain COMEX, nous présenterons la partie narrative que nous avons rédigée et une première proposition pour les données quantitatives.
De votre côté, il a fallu faire œuvre de pédagogie pour embarquer tout le monde dans le groupe ?
Oui c’est un point très important. Et ce qui montre que le projet est réussi de notre côté, c’est que les membres de notre COMEX peuvent discuter aujourd’hui de CSRD avec notre actionnaire. Mais ça ne s’est pas fait du jour au lendemain. Dans la toute première présentation que j’ai menée devant le COMEX, j’ai commencé par expliquer ce que signifiaient la double matérialité, les IRO, les ESRS, etc… C’est une nouvelle culture qui arrivait, complexe donc il y a eu une période d’apprentissage, de familiarisation.
Au mois de mai dernier, notre directrice financière nous a dit qu’elle comprenait enfin la CSRD et au mois de juin, le directeur général nous a félicités pour avoir réussi à rendre lisible la double matérialité. Donc nous avons gagné 2 batailles, il faut désormais gagner la 3ème : la publication du rapport.
Vous l’avez évoqué, dans le cadre de votre analyse de double matérialité, vous avez décidé de consulter vos parties prenantes. De quelle manière ?
On en a consulté 400 au total.
En premier lieu, nous avons mené des entretiens individuels avec tous les membres du COMEX et des experts internes et externes : des journalistes, des salariés des services publicité et abonnements, des responsables d’écoles de journalisme, des experts du numérique, des experts de l’industrie ou encore des fournisseurs. L’objectif était d’avoir un panel très large avec des personnes qui s’expriment sur notre produit et nos activités.
Ensuite, à partir de ces entretiens individuels, nous avons construit un questionnaire diffusé auprès de 350 autres parties prenantes : 150 salariés, 50 annonceurs, 70 lecteurs mais aussi des non lecteurs. Ce que nous faisions auparavant avec la DPEF s’est retrouvée dans le projet CSRD mais ce dernier est beaucoup plus riche, notamment grâce aux informations remontées par nos parties prenantes.
Cela vous semblait impossible de réaliser une analyse de double matérialité ambitieuse sans consulter vos parties prenantes ?
La crainte que nous avions nous, membres du COMEX, c’est qu’on se focalise involontairement sur les enjeux sur lesquels nous avions envie de travailler et pas forcément ceux sur lesquels nos salariés, nos lecteurs ou nos fournisseurs souhaitaient qu’on travaille. Donc nous nous sommes obligés à dérouler la démarche en intégrant beaucoup de parties prenantes. J’en ai parlé avec des confrères et eux aussi vont le faire de la même manière car ils se disent que si la démarche veut être cohérente et reconnue, il faut effectivement consulter les parties prenantes.
Avant de rentrer dans le détail de votre analyse de double matérialité, quels sont les principaux résultats ?
Nous avions identifié 58 IRO au début de l’analyse sur lesquels nous avons testé la matérialité. Sur les 58, 38 ressortent comme matériels et 5, comme je vous le disais, ont été retenus par le Crédit Mutuel pour figurer dans leur rapport de durabilité. Pourquoi seulement 5 et pourquoi ces 5 là ? Ils ont conservé les IRO matériels qui sont spécifiques à notre activité industrielle et journalistique et qui ne se retrouvent pas ailleurs dans leur groupe.
{{newsletter-blog-3}}
Comment avez-vous fait pour la cotation des IRO ? Vous vous êtes appuyés sur le résultat des consultations de vos parties prenantes ?
Dans les entretiens individuels avec les experts externes et internes, nous avons vérifié si les IRO que nous avions identifiés ressortaient et si c’était le cas, combien de fois ils étaient cités ou combien de fois les personnes s’approchaient du sujet.
Nous avons intégré ces résultats dans les questionnaires envoyés aux 350 autres parties prenantes et ce sont elles qui ont jugé de la pertinence des enjeux. Et nous n’avons pas eu beaucoup de surprise entre ce que nous imaginions en interne au début du processus et les réponses obtenues auprès des parties prenantes.
Comment avez-vous organisé votre échelle de cotation ?
C’était une échelle de 1 à 4, avec un seuil de matérialité que nous avons placé à 2.
Deux remarques toutefois liées à la cotation et au seuil de matérialité. D’abord, il y a des sujets dans notre groupe que nous traitons depuis des années. C’est le cas par exemple de la prévention de la corruption. C’est un point clé dans un groupe bancaire comme celui du Crédit Mutuel. Donc nous suivons tous dans l’entreprise une formation anti-corruption chaque année. Nous sommes tellement surveillés et formés sur ce sujet que nous avons décidé de le passer sous le seuil de matérialité. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas important mais c’est pour qu’il ne vienne pas “noyer” des sujets plus spécifiques sur lesquels nous devons progresser.
Ensuite, pour tous les IRO qui relevaient du volet social, si la note des experts du COMEX était à la limite du seuil de matérialité et que la note des salariés était différente, nous avons à chaque fois privilégié la note des salariés.
Donc 38 IRO matériels, cela signifie combien de datapoints à collecter pour EBRA ?
Sur notre matrice de double matérialité, nous avons regroupé des IRO en enjeux de durabilité pour plus de lisibilité et de clarté. Par exemple, les enjeux de gestion des déchets et de ressources entrantes de l’ESRS E5 (consacré à l’utilisation des ressources et à l’économie circulaire) ressortent comme matériels chez nous. Rien que sur cet ESRS, je compte environ une centaine de datapoints à faire remonter : les quantités d’eaux usées, la consommation d’encre, le nombre de machines d’occasion, les tonnes de matériel recyclé…
Un autre enjeu qui est matériel pour nous est la qualité de l’information, dans l’ESRS S4. C’est d’ailleurs un des enjeux que le Crédit Mutuel a décidé d’intégrer dans son rapport consolidé. Nous avons identifié un impact négatif matériel qui est lié au risque de désinformation avec l’essor du numérique, la présence de zones blanches avec un accès inexistant ou limité à Internet ou des difficultés pour livrer le journal par exemple. Sur cet enjeu, nous avons une dizaine de datapoints à faire remonter à notre actionnaire. Et ce qui est intéressant d’ailleurs, c’est que nous avons “réinventé” la plupart de ces datapoints sur ce sujet car ceux requis par l’EFRAG ne correspondent pas à notre activité. Nous avons donc décidé de publier par exemple le nombre de journalistes du groupe formés à écrire sur les sujets de durabilité, le nombre d’heures de formation ou encore le nombre de nos journalistes détachés dans les écoles de journalismes.
Autre enjeu sélectionné par le Crédit Mutuel, c’est la gestion des relations avec les fournisseurs, y compris les moyens de paiement, dans l’ESRS G1. Cela concerne par exemple les relations durables avec nos fournisseurs, la gestion en fonction de critères carbone. C’est un sujet sur lequel nous disposons déjà de nombreuses données.
Au total, quand je regarde mon tableau, nous sommes à environ 400 datapoints à publier, contre 300 auparavant pour la DPEF.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui se lancent ?
Le premier enjeu, c’est d’anticiper. 1 an par exemple, c’est loin d’être trop long pour structurer la démarche, lancer les premières étapes comme l’analyse de double matérialité puis organiser son processus de collecte.
Ensuite, je conseille aux entreprises de se faire accompagner et de se doter d’un bon outil, partagé avec les différentes équipes pour piloter le projet.
Enfin, on se dit au début que la CSRD est un projet et que dans un projet, il y a un début et une fin. Sauf que dans ce cas présent, il n’y a pas de fin. On est dans une démarche d’amélioration continue, il faut accepter de se dire qu’on va s’améliorer sur les prochaines années. Et ce qui est très intéressant, c’est que ce projet CSRD nous permet d’enrichir notre feuille de route RSE avec notamment un comité de parties prenantes que nous n’avions pas jusque-là et que nous avons créé spécialement pour la CSRD.
Pourquoi est-ce important de se faire accompagner ?
Chez EBRA, nous avons 1,3 ETP consacré à la RSE c’est-à-dire pas seulement au projet CSRD. Nous continuons de travailler sur la notation Ecovadis, sur nos bilans carbone, sur l’animation RSE au sein de l’entreprise. Si vous ne voulez pas faire que de la CSRD, vous êtes obligés de vous faire accompagner.
Comment réussir son analyse de double matérialité ?
Vous retrouverez dans ce guide le détail de la méthodologie de l'analyse de double matérialité et le décryptage d'un consultant RSE
Comment réussir son analyse de double matérialité ?
Vous retrouverez dans ce guide le détail de la méthodologie de l'analyse de double matérialité et le décryptage d'un consultant RSE
Les commentaires