Tout comprendre au nouveau règlement européen “ESPR” sur l’écoconception

Chloé Boucher

Rédactrice climat

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L’ESPR, “Ecodesign for Sustainable Products Regulation”, est le nouveau règlement européen sur l’écoconception des produits durables. Il a été adopté par le Parlement le 25 avril 2024.

Son objectif ? Renforcer la circularité de nos produits et ainsi les rendre plus durables d’un point de vue environnemental.

Avec l’ESPR, la Commission passe à la vitesse supérieure et vient fixer de nouvelles exigences d’écoconception pour les entreprises et les étendre à la quasi-totalité des produits du marché européen ! Concrètement, les produits commercialisés au sein de l’Union européenne devront répondre à de nouvelles exigences en matière de performance et d’information.

Mais, quelles sont les nouvelles exigences qui vont incomber aux entreprises ? Quels produits sont concernés par ces obligations ? Quel est le calendrier prévu ? Qu’est-ce que le passeport numérique que les entreprises vont devoir mettre en place ? On répond à toutes ces questions, et bien d’autres, dans cet article. 

Le nouveau règlement ESPR, c’est quoi ? 

L'ESPR : une nouvelle approche à l’échelle de l’Union européenne en matière d'écoconception et de durabilité

Il s’agit, en quelque sorte, de la pierre angulaire de l'approche de la Commission en faveur de produits plus durables et plus circulaires. C’est également un élément clé dans la réalisation du plan d'action pour l'économie circulaire (CEAP) prévu par le pacte vert de l’Union européenne.

L’objectif de l’ESPR est simple : établir un cadre permettant de fixer un large éventail d’exigences d'écoconception et ainsi améliorer la circularité et la performance environnementale des produits présents sur le marché européen en les rendant plus durables.

Mais d'ailleurs, qu’est-ce que l’écoconception ? Selon l’ADEME (l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie), il s’agit de “ concevoir une offre de produits plus respectueux de l’environnement”.

 

On dit qu’un bien ou service proposé par une entreprise est “éco-conçu” lorsque dès la phase initiale de conception, l’entreprise cherche à : 

-  réduire au maximum les impacts négatifs de ce produit sur l’environnement 

-  intégrer des mesures de préservation de l’environnement.

L’écoconception porte sur l’ensemble du cycle de vie du produit !

L'écoconception a fait ses preuves que ce soit en matière d'avantages pour les entreprises, les consommateurs et l'environnement. Selon la Commission européenne, rien qu'en 2021, les mesures d'écoconception actuelles auraient permis d'économiser 120 milliards d'euros en dépenses énergétiques pour les consommateurs de l'UE et de réduire de 10 % la consommation annuelle d'énergie des produits concernés ! Avec ce nouveau texte, les économies réalisées seront encore plus élevées. 

Une législation cadre pour l’écoconception à l’échelle de l’Union européenne

Il est important de comprendre que le règlement ESPR est une législation cadre, une “framework legislation” en anglais ce qui signifie que ce règlement dessine un cadre réglementaire au sein duquel de futures mesures seront prises ultérieurement. L’adoption de ce texte est donc le point de départ d’un long parcours législatif à venir. 

Concrètement, le règlement ESPR fixe les grands principes directeurs du texte, le calendrier, la mise en place d’un Forum de l’Ecodesign, régit les sessions de travail, prévoit les travaux pluriannuels, organise les analyses d’impact de produits qui conduiront à l’adoption future de mesures spécifiques et définit les priorités. 

Cependant, le règlement ne fixe pas de mesures spécifiques précises et concrètes, mais de par son existence, il permet leur adoption ultérieure ! Ainsi, tout le détail des nouvelles exigences en matière d'écoconception ou de divulgation d’information (seuils, durées, produits concernés etc.) seront précisées ultérieurement et s'appliqueront aux entreprises après l'adoption d’actes délégués ou d’actes d'exécution, les deux types d'instruments d’exécution du droit de l’Union. 

Enfin, il s’agit d’un règlement, ce qui signifie qu’il est directement applicable aux États membres dès son entrée en vigueur, contrairement aux directives européennes qui doivent être transposées au niveau national par chaque État membre. 

Quels produits sont concernés ? 

Alors que la directive actuelle sur l’éco-conception couvre uniquement les produits liés à l'énergie (31 groupes de produits liés à l’éclairage, le chauffage, la climatisation etc.) , le règlement ESPR dépasse le volet purement énergétique et s’étend à une gamme de produits bien plus large.

En effet, les règles proposées dans le cadre de l'ESPR s'appliqueront à presque toutes les catégories de biens physiques mis sur le marché de l'Union Européenne (à l’exception notamment des denrées alimentaires pour les humains et animaux), qu'ils soient produits à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union européenne.

Quels sont les grands apports de l’ESPR par rapport à la directive actuelle sur l’écoconception ? 

Le contenu du règlement ESPR se base sur l’actuelle directive 2009/125/CE sur l'écoconception et viendra la remplacer à terme. 

Les principales nouveautés apportées par le règlement ESPR sont les suivantes : 

  • Le champ d’application du texte est bien plus vaste ! Comme nous l’avons vu ci-dessus, la quasi-totalité des produits du marché européen sont concernés. 

  • De nouveaux critères de durabilité et d'écoconception sont intégrés dans le texte. En effet, parmi les exigences liées à la performance des produits, de nouveaux critères sont ajoutés tels que la durabilité, l’empreinte CO2e, la part de contenu recyclé dans tel ou tel produit, etc. 

  • L’horizontalité. Le règlement prévoit la mise en place de mesures “horizontales” et d’exigences de performance ou d’informations communes en matière d'écoconception pour les produits ou groupes de produits qui présentent des similitudes. 

  • L’ESPR prévoit des obligations en matière d'information autour des produits. De nouvelles mesures concrètes en matière d’information sont intégrées au règlement, telles que la mise en place d’un passeport numérique du produit par exemple. 

Ces apports permettraient de réaliser de nombreuses économies. Selon la Commission européenne, d'ici à 2030, le nouveau cadre pour les produits durables peut permettre d'économiser 132 millions de tonnes d'énergie primaire (ce qui correspond à peu près à 150 milliards de mètres cubes de gaz naturel, soit presque l'équivalent des importations de gaz russe de l'Union européenne.)

Les nouvelles exigences en matière d’écoconception qui concernent les entreprises sont détaillées ci-dessous. 

Quelles sont les nouvelles exigences liées à l’écoconception prévues par l’ESPR ? 

L’ESPR définit de nouvelles exigences d’écoconception en matière de produits. Les exigences d’écoconception peuvent concerner un produit spécifique ou s’appliquer de manière horizontale à un ensemble de produits. 

Ces exigences sont à la fois liées à des critères de performance du produit (qualitatifs et quantitatifs) mais également aux informations disponibles autour du produit en question. 

Parmi ces nouvelles exigences d’écoconception, il y a : 

  • La durabilité, la réutilisation, l'amélioration et la réparabilité des produits : l’objectif est de réduire le besoin de remplacement des produits en maximisant leurs durées de vie et de rendre possible leur réparation et leur entretien. La conception doit pouvoir permettre que les produits soient utilisés le plus longtemps possible et qu’ils soient démontables et réparables simplement, ce qui implique que les pièces nécessaires soient accessibles et connues. 

  • Le contrôle de la présence de substances qui entravent la circularité : les entreprises qui fabriquent des produits doivent s’assurer qu’ils excluent ou limitent drastiquement l’utilisation de matériaux ou de substances nocives et/ou entravant la circularité du produit (substance qui rend impossible le recyclage par exemple). 

  • L'efficacité énergétique et l'efficacité des ressources : la consommation énergétique et l’utilisation des ressources (eau etc.) doit être optimisée lors de la phase de conception des produits, et sur tout le cycle de vie du produit. 

  • Le contenu recyclé : lors de la fabrication et la conception de produits, les entreprises vont devoir intégrer un seuil minimum de matériaux recyclés. L’objectif encore une fois est d’économiser les ressources et promouvoir la circularité des produits. 

  • La refabrication et le recyclage : les composants utilisés, les procédés de fabrication doivent rendre le démontage et la séparation des composants le plus simple possible. Ainsi, cela facilite le remanufacturing et le recyclage puisque les matériaux peuvent être récupérés et réutilisés.  

  • L'empreinte carbone et environnementale : les fabricants doivent réduire au maximum l’empreinte carbone de leurs produits et limiter leurs émissions de gaz à effet de serre en choisissant soigneusement leurs matériaux, leurs procédés de fabrication, leur logistique etc. 

  • Les exigences en matière d'information, dont la création d’un passeport numérique des produits pour informer les consommateurs et les utilisateurs : les entreprises doivent fournir des informations détaillées et accessibles sur leurs produits (durabilité, réparabilité, part de matériaux recyclés, etc.). Cela implique qu’elles doivent communiquer ces informations numériquement grâce à un “Passeport Produit Numérique”. 

Règlement ESPR
Source : Commission européenne

ZOOM sur la mesure phare : le DPP “Digital Product Passport” 

Le DPP “Digital Product Passport” ou “Passeport Numérique du Produit” est la nouvelle obligation d’information posée par l’ESPR qui incombe aux entreprises mettant des produits sur le marché européen. Avec le DPP, la Commission européenne fixe des exigences d'écoconception relatives à l'accès aux données pour les produits, en complément des exigences d'écoconception physiques.

Concrètement, le DPP rendra obligatoire au niveau européen l’affichage d’informations sur la durabilité environnementale des produits. L’objectif est ainsi de faciliter les réparations et le recyclage, d’améliorer la transparence des impacts du cycle de vie des produits sur l'environnement mais également de favoriser les produits ayant la meilleure performance environnementale puisque cet outil devrait aider les consommateurs et les entreprises à faire des choix éclairés lors de l'achat. 

Le DPP simplifiera l'accès numérique à ces informations puisqu’il suffira au consommateur ou à l’utilisateur de scanner un support de données pour connaître les différents attributs d’un produit en termes de durabilité, réparabilité, contenu recyclé, disponibilité des pièces détachées. Le passeport produit devrait également aider les autorités publiques à mieux effectuer les vérifications et les contrôles. 

Concrètement, les fabricants vont devoir s’assurer que : 

  • un passeport du produit existe et qu’il est conforme aux exigences de la Commission européen 
  • le passeport produit est complet, c'est-à-dire qu'il contient toutes les informations obligatoires selon la catégorie de produit à laquelle il appartient
  • les informations figurant dans le passeport sont authentiques, fiables et vérifiées
  • une copie de sauvegarde du DPP est conservée par un prestataire de services de passeport de produit tiers certifié
  • une copie du passeport est mise à la disposition des distributeurs et des places de marché en ligne qui vendent le produit en question. 

DPP VS affichage environnemental : quelle articulation ?

Le DPP ressemble beaucoup à l’affichage environnemental prévu à l’échelle française par la loi AGEC (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire), pionnière en matière d’affichage environnemental pour le textile. Comment vont s’articuler ces deux normes assez similaires ? 

L’ESPR permet de définir et d’établir des normes et des standards communs à l’échelle de l’Union Européenne. Le règlement ESPR viendra étoffer l’affichage environnemental à la française puisqu’il s’appliquera à de nombreux secteurs supplémentaires. 

L’ESPR réglemente la destruction des biens de consommation invendus

Le texte ESPR pose un principe général de prévention de la destruction des produits invendus. L’objectif est que les entreprises prennent des mesures permettant d’éviter de détruire les produits invendus. 

Pourquoi ? Car cette pratique est largement répandue. Bien que les chiffres précis soient rares, la Commission européenne estime que : 

  • Dans l'UE, 4 à 9 % des textiles mis sur le marché sont détruits avant utilisation, soit entre 264 000 et 594 000 tonnes de textiles détruits chaque année. 
  • En France, la destruction des invendus représenterait une perte de 630-800 millions d'euros par an.

Concrètement, le règlement ESPR : 

  • impose des exigences de transparence pour les entreprises qui se débarrassent de produits invendus et les oblige à divulguer les informations suivantes sur leur site web : nombre et poids par an, raisons de la destruction, l'exemption pertinente, les mesures prises pour éviter la destruction etc. 

  • prévoit d’interdire la destruction pour les groupes de produits concernés et notamment les textiles et les chaussures, dans les 2 ans suivants l’entrée en vigueur du règlement ESPR. Certaines dérogations pourront être accordées ultérieurement si cela s’avère nécessaire au vu de la situation.

  • prévoit que la Commission adopte des actes d'exécution fixant les détails et le format de la divulgation : délimitation des types ou catégories de produits, modalités de vérification des informations divulguées. L'adoption de l'acte d'exécution est prévue dans les 12 mois suivant la date d'entrée en vigueur du règlement ESPR. 

  • exempte les micro et petites entreprises. 

Attention, l’interdiction de détruire les invendus est déjà applicable en France avec la loi AGEC, pionnière en la matière ! En France, depuis le 1er janvier 2022 les marques de textile, de linge de maison et de chaussures ont l’interdiction de détruire leurs invendus. Avec le règlement ESPR cette obligation s’appliquera à l’ensemble des Etats-membres de l’Union Européenne. 

Calendrier de mise en œuvre et prochaines étapes

Les prochaines étapes sont les suivantes : 

  • Étape 1 : la Commission européenne met en place des plans de travail multi-annuels et réalise des études préparatoires et des analyses d’impact détaillées.
  • Étape 2 : La Commission européenne met en consultation les analyses et mesures auprès de l'Éco-design Forum. 
  • Étape 3 : Adoption des premières mesures, prévues en 2026.
  • Étape 4 : Application des mesures, au minimum 18 mois après leur adoption, ce qui signifie que les obligations précises seront applicables aux produits à partir de 2027. Des périodes plus courtes de mise en œuvre pourront s’appliquer à certains produits. 

Le calendrier prévu par la Commission européenne est le suivant : 

Calendrier règlement ESPR
Source : Commission européenne

Dans l'intervalle et jusqu’à la mise en œuvre complète des nouvelles mesures, la directive actuelle 2009/125/CE sur l’éco-conception continuera de s'appliquer. 

 

Conclusion

En plus des exigences en matière d’éco-conception, du passeport numérique du produit, du cas des substances préoccupantes ou des biens invendus, le texte ESPR consacre d’autres éléments et principes essentiels tels que la mise en place de mécanismes de surveillance du marché et de contrôles douaniers des produits réglementés, le principe d’autorégulation etc. 

Par ailleurs, ce texte ESPR qui impacte la façon de produire nos produits va concerner directement tous les fabricants, même étrangers. Pour cela, l’UE devra s’assurer d’un dialogue ouvert avec les pays producteurs afin d’améliorer la durabilité de leurs produits. La Commission a également indiqué qu’elle évaluera minutieusement les éventuelles répercussions de ces nouvelles obligations sur les pays tiers.

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